Le premier musée du déchet au monde, voilà qui interpelle et nous pousse à ouvrir les portes d’un monde futuriste qui bouscule.
Désormais venir admirer ses ordures au musée, c’est possible. C’est un peu de «la provocation», reconnaît Romain Poulles à l’origine avec son associé Jannot Schroeder de cette initiative peu banale, le premier musée du déchet du monde ouvert en novembre dernier. Et pour que le projet voit le jour, Romain Poulles a dû mettre la main à la pâte. «Tous ces objets viennent de la déchetterie. Je suis allé moi-même les récupérer. Tous les appareils électroménagers, fer à repasser, bouilloire, lecteur audio… fonctionnent parfaitement», commente l’un des acteurs principaux de l’économie circulaire au Grand-Duché, président fondateur du Luxembourg Center for Circular Economy (LCCE) et membre fondateur ou impliqué dans bien d’autres entreprises ou associations à impact sociétal positif.
Aux 8 et 10 de la rue Genistre à Luxembourg, The MuD nous invite à plonger en 2050, dans un monde futuriste «où les déchets auront disparu, soit par notre volonté de changer les choses pour pouvoir vivre correctement, soit parce qu’il n’y aura plus les ressources pour les fabriquer», prévoit Romain Poulles. Loin de nous culpabiliser, même s’il invite à la réflexion, le musée de déchets se veut fun et le pari est réussi. Avec un budget minimum, il offre diverses entrées ludiques sur le sujet, avec différents univers. On peut se découvrir dans un miroir au milieu des déchets que l’on produit chaque année et s’apercevoir que la majorité de notre poubelle est encore remplie de produits qui devraient pourtant aller au recyclage ou dans un composteur. Plusieurs œuvres d’art composent aussi la collection comme celle de Thomas Iser où son ouverture sur le ciel, qui est un peu sa signature, est cette fois composée de milliers de mégots ramassés dans les rues de Luxembourg pour faire les contours. Le bleu est celui des feuilles plastiques de bouteilles d’eau, on y voit aussi un masque, des tickets de stationnement et même des lunettes de plongée. Les œuvres de Terry Frantzen redorent elles des objets du quotidien.
La bouteille de lait cache bien son jeu
Plus loin, un écran télé est accroché au mur. Autour, l’intégralité de ses composants sont démontés et expliqués. C’est l’un de ces éléments qui a le plus choqué Magali Stranen, le palladium «qui se trouve dans la plupart des composants électroniques et provoque des tumeurs. Il se retrouve ensuite dans des déchets en Afrique ou en Chine et pour l’extraire, des gens le mette sur le feu et le respire. Ils sont malades de nos déchets». C’est au travers du programme «Youth and Work» pour aider les jeunes à trouver un emploi que la jeune femme de 29 ans s’est impliquée dans la création de l’exposition, notamment en faisant des recherches pour effectuer une fresque sur l’histoire des déchets de l’an -7 000 à 2050. Une manière de montrer que cette invasion de déchets est toute neuve, elle a commencé avec l’ère industrielle est s’est vraiment accélérée ces 50 dernières années, une parenthèse pour le fondateur du musée. Avant ce projet, Magali était déjà sensible aux problèmes environnementaux et aux déchets qui ne disparaissent pas avec la benne à ordure. Elle achète bio et peu, consomme peu de viande. Elle fait partie d’une génération informée très tôt sur les dérives de notre société. Comme elle, ils étaient une vingtaine à trouver des informations souvent aberrantes ou des chiffres stupéfiants. Par exemple, un tableau montre la composition d’un banal pack de lait qui semble être en carton et qu’on jette dans la poubelle recyclable en toute bonne conscience. En réalité, l’emballage est d’abord fait «d’une couche de plastique, puis d’une couche de carton, à nouveau du plastique, puis de l’aluminium et encore du plastique», indique Romain Poulles, intarissable sur ce sujet qui le passionne. «Cela prouve que c’est compliqué à recycler et que cela ne sera certainement pas recyclé. Séparer les couches, cela coûte très cher. C’est pareil pour les paquets de chips. Les monomatières comme les bouteilles de lait en plastique (en polyéthylène téréphtalate ou PET) sont beaucoup plus simple à recycler».
Résolument «possibiliste»
Des chiffres, il en a à la pelle. Dans chaque maison luxembourgeoise, il y a environ 10 000 objets. Nous utilisons 80 % d’entre eux moins d’une fois par mois. Chaque habitant jette dans la poubelle noire en moyenne 500 kg d’ordures par an. Un seul filtre de mégot pollue 500 litres d’eau.
Le musée met aussi et même surtout l’accent sur les solutions, acheter moins, privilégier le marché de seconde main, ne pas jeter des objets dans la nature, c’est du bon sens, mais il met aussi en lumière des objets novateurs comme un champignon facilement modelable aux mêmes propriétés que le polystyrène. «Je voulais un endroit qui réunit toutes les bonnes idées pour un avenir plus propre», explique Romain Poulles qui ne se considère pas comme un optimiste mais «un possibiliste». Je ne veux pas attendre en me disant que ça va aller mieux ou que ce sera la catastrophe, je veux agir. Il est urgent de changer de modèle.»
Pour atteindre son objectif, rien de tel que de toucher les plus petits de la société (les 3 ou 4 ans), ce sera chose faite au déménagement du musée. Car The MuD se veut pérenne mais itinérant. En mai, il emmènera son tas d’ordures soigneusement sélectionné et ses solutions à Esch-sur-Alzette au centre Formida pour Esch 2022.
Si le démarrage a été compliqué, en plein covid, une dizaine de personnes visitent le musée chaque jour, sans compter les groupes et de nouveaux sponsors s’embarquent dans l’aventure. Des écoliers vont également venir faire des ateliers pédagogiques dès la fin des vacances et l’exposition va s’agrandir et devenir encore plus interactive. Elle est d’ailleurs destinée à évoluer au rythme des bonnes idées. De quoi remettre un coup de projecteur sur nos poubelles.
Audrey Libiez