La Berlinale a fait entendre la voix des campagnes et celle des femmes en sacrant le film espagnol « Alcarràs » de la réalisatrice Carla Simón, dans un palmarès quasi-exclusivement féminin.
En décrochant l’Ours d’or, la cinéaste de 35 ans devient la troisième jeune réalisatrice d’affilée à être sacrée par un festival majeur, après les Françaises Julia Ducournau, Palme d’or à Cannes pour « Titane » et Audrey Diwan, Lion d’or à Venise pour « l’Événement ».
Si on y ajoute le triomphe aux Oscars 2021 de l’Américaine Chloé Zhao, avec « Nomadland », ces prix les plus prestigieux de la planète cinéma semblent témoigner, cinq ans après le début de l’affaire Weinstein, d’une volonté de rééquilibrage au sein d’une industrie longtemps dominée par les hommes.
À Berlin, le palmarès est quasi-exclusivement féminin, avec un prix de la meilleure réalisation à la Française Claire Denis pour « Avec amour et acharnement » et un prix « non-genré » de la meilleure interprétation à l’actrice germano-turque Meltem Kaptan.
« C’est une tendance qui est là pour rester parce que les références changent. Quand j’étais étudiante, il était difficile de se référer à des réalisatrices, mais petit à petit ça change, parce qu’il y a une volonté, parce que nous sommes la moitié de l’humanité et que nous devons donc raconter la moitié des histoires. Mais nous n’y sommes pas encore », a déclaré Carla Simón en conférence de presse, soulignant que le cinéma comptait encore une minorité de réalisatrices et de productrices.
L’Ours d’or met aussi la lumière sur le devenir de l’agriculture et des paysans, bousculés par la modernité. « Alcarràs » est une ode aux petits exploitants, qui se déroule le temps d’un été dans un coin de Catalogne baigné par le soleil.
Le président du jury, le réalisateur américain M. Night Shyamalan, a salué la performance des acteurs qui ont su « montrer la tendresse et le combat d’une famille », et mettre en lumière « notre dépendance à la terre ».
La réalisatrice, qui a perdu très jeune ses parents et a grandi près de cette petite ville d’Alcarràs, a remercié sa famille, « qui cultivait des pêches et sans laquelle (elle) n’aurait jamais été aussi proche de ce monde ».
Carla Simón, qui avait déjà reçu un prix du premier film à Berlin pour « Été 1993 » (2017), a aussi dédié son prix aux « petites familles d’agriculteurs qui cultivent chaque jour leur terre pour remplir nos assiettes ».
Déraciner les arbres
Dans « Alcarràs », c’est ce monde en voie de disparition qui envahit l’écran, d’autant plus criant de vérité que les acteurs sont des non-professionnels, recrutés dans les environs. Le film suit la famille Solé, qui cultive depuis trois générations des centaines de pêchers sur les terres de riches propriétaires.
Mais ces derniers veulent déraciner les arbres pour y installer des panneaux solaires, et proposent aux Solé de s’adapter à cette nouvelle donne, ou de partir. Le chef de famille, Quimet, refuse de voir son monde disparaître. Autour de lui, c’est tout un fragile équilibre familial, des enfants aux personnes âgées, qui menace de s’effondrer. Le casting, d’acteurs non-professionnels, est filmé avec une grande tendresse.
Le film se montre à la fois émouvant, et profond sur les questions de la modernisation à marche forcée des campagnes ou du conflit entre économie et écologie. Carla Simón succède au Roumain Radu Jude, Ours d’or l’an dernier, après une semaine de compétition menée au pas de charge en raison du Covid.
Les organisateurs peuvent se féliciter d’avoir, au prix de mesures sanitaires drastiques, mené la compétition à son terme après un ersatz de festival, en ligne uniquement, l’an dernier.
Seule ombre au tableau : l’absence d’un grand nom du cinéma, la Française Isabelle Huppert, qui devait se voir remettre une récompense pour l’ensemble de sa carrière d’actrice. Testée positive au Covid-19 la veille, elle a dû renoncer au voyage à Berlin.