Le président des vignerons indépendants, Ern Schumacher, reconnaît que les membres de l’organisation se sont bien sortis de la crise. Une époque qui marquera la fin de sa carrière, puisqu’à 65 ans, il laisse les clés de son domaine à son fils Tom.
Le bilan de 2021
Ern Schumacher, vigneron (domaine Schumacher-Lethal, à Wormeldange) et président de l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants (OPVI) : «Je dois dire que nous, les vignerons indépendants, nous avons tous bien travaillé malgré la crise. Pour savoir où se situaient nos chiffres d’affaires par rapport à l’avant-covid, nous avons réalisé une étude interne et elle a confirmé qu’il n’y a pas eu de grande catastrophe. Bien sûr, ceux qui travaillent beaucoup avec la restauration ont un peu perdu, mais les domaines qui possèdent une clientèle privée bien établie ont parfois vendu davantage qu’auparavant. Selon les déclarations de nos membres, l’évolution va de -20 % (mais il n’y a qu’une seule entreprise qui affiche une baisse aussi importante) à +6 %. Globalement, nous avons retrouvé les volumes d’avant la pandémie. L’avoir fait aussi tôt, je trouve ça formidable! Il faut reconnaître que nous ne sommes pas à plaindre. Nous n’avons pas vécu la même période que la gastronomie, par exemple. Pour eux, c’était bien plus dur. Ceci dit, rien n’a été facile non plus et si nous nous en sommes bien sortis, c’est parce que nous avons beaucoup travaillé et que nous nous sommes remis en question pour trouver de nouveaux moyens de communication et de distribution. Il ne faut pas oublier que depuis le début de la pandémie, nous n’avons jamais été au chômage. Il y a toujours eu beaucoup de travail chez nous, particulièrement l’année dernière qui a été climatiquement compliquée, mais qui, finalement, nous donnera un millésime vraiment très intéressant au niveau de la qualité des vins.»
Il faut reconnaître que nous ne sommes pas à plaindre
Une leçon à retirer de la crise
«Si nos vins se sont bien vendus, c’est parce qu’ils plaisent et que nous avons répondu aux besoins de nos clients. Lorsque tout était fermé, nous avons livré nos caisses dans tout le pays. C’était une demande de notre clientèle et les vignerons privés ont su être flexibles et réactifs pour la satisfaire. Cette capacité a été notre grande force et nous continuons à offrir ce service gratuitement depuis. Ce ne sont jamais de très grosses commandes, mais ce réseau est finalement très précieux. À l’époque, nous avons senti que ce service était important. Alors que les contacts étaient interdits, on voyait bien que les clients étaient heureux de nous voir. Nous laissions les cartons sur le pas de la porte et nous discutions parfois à travers les fenêtres entrouvertes. Quand on y repense, c’est un peu drôle, mais ces discussions faisaient du bien. Je crois que beaucoup de clients sont reconnaissants. Ils nous le montrent aujourd’hui avec leur fidélité. D’ailleurs, nos caves étaient toujours ouvertes pour vendre nos vins. Le gouvernement nous a rapidement classés parmi les commerces essentiels et ça a été une très bonne chose pour nous. Pendant les confinements, les gens ne pouvaient aller que dans les grandes surfaces pour faire leurs courses. Nous les faisions tous très vite pour y rester le moins de temps possible, en ne prenant que l’essentiel. Or choisir son vin prend du temps. Des clients nous ont dit qu’ils préféraient passer leurs commandes tranquillement chez nous et être livrés à domicile, plutôt que de rester devant les rayons. Pendant cette crise, nous avons également beaucoup développé notre présence numérique. Nous avons fait des publicités sur les réseaux sociaux, par exemple, et cela nous a apporté une nouvelle clientèle. Puisque les effets ont été très positifs, nous allons continuer dans cette voie. Nous sommes en train de planifier plusieurs campagnes sur toute l’année. Il faut que l’on se fasse davantage connaître!»
Une opportunité à saisir en 2022
«La première chose, c’est que nous espérons que tout cela s’arrête. Que l’on retrouve enfin une vie normale, que l’on passe du bon temps ensemble, entre amis, sans avoir à penser aux règles sanitaires et aux gestes barrières. J’attends avec impatience le retour de nos fêtes mosellanes, les Riesling Open de Wormeldange dans leur forme normale, la Hunnefeier à Schengen, les Reines du Vin à Grevenmacher… Ce que je souhaite, également, c’est éviter toutes les catastrophes météorologiques. La grêle, les orages, les inondations… En tant que pompier à Wormeldange, je suis allé à Echternach, à la mi-juillet, pendant les inondations. Je n’ai jamais vu ça, c’était terrible… Et encore, nous n’avons pas vécu le pire. Deux bus de vignerons luxembourgeois sont allés donner un coup de main à nos amis de la vallée de l’Ahr, en Allemagne, qui ont vécu une vraie catastrophe. Nous avons un copain qui venait de construire une cave et il a tout perdu. L’eau est montée pratiquement jusqu’au plafond et toutes ses barriques sont parties avec la crue… C’est vraiment dur. En tant que vignerons indépendants, nous leur avons donné des palettes de vins pour qu’ils puissent les vendre à leur profit. Il faut être solidaire. Et puis, 2022 sera aussi pour moi l’année de la retraite. J’ai 65 ans et c’est à mon fils, Tom, qui travaille avec moi depuis déjà 20 ans, de reprendre toutes les responsabilités. Je suis heureux et fier de laisser le domaine entre de bonnes mains. C’est un moment où je me rends compte de tout le travail que j’ai accompli. Quand j’ai commencé au domaine, en 1971, nous avions 2,5 hectares, mais le remembrement est arrivé et il n’y avait plus que 30 ares de vignes à cultiver. Tout le reste avait été arraché. Pour avoir un salaire, j’ai travaillé pendant neuf ans chez Dupont, à Contern. Je faisais mes heures à l’usine et, après, je venais m’occuper des vignes avec mon père, Pierre. On peut dire que pendant neuf ans, j’ai fait des doubles journées. Quand je vois ce que je laisse à Tom aujourd’hui, je suis quand même content de moi! Je vais également prendre ma retraite chez les vignerons indépendants. Mes collègues sont prévenus : il faut trouver quelqu’un pour me remplacer! Une nouvelle génération de vignerons arrive et j’aimerais beaucoup que ce soit l’un d’entre eux qui prenne ma place. Ce n’est pas toujours facile, cela fait beaucoup d’heures supplémentaires, de tracas lors des négociations parfois interminables pour faire entendre notre voix, mais c’est un rôle très important, indispensable. J’ai été président pendant 25 ans, c’est déjà beaucoup, et mon mandat se terminera en mars 2023 : le message est passé !»
Erwan Nonet