Il ne peut exister une expérience universelle du monde. Du moins, on l’appréhende surtout individuellement, comme le ferait toute personne qui, une vie durant, s’appuie sur ses propres savoirs et ses propres ignorances. Il peut exister, en revanche, une réflexion, une mise en scène réfléchie sur la façon dont un individu fait, lui-même, cette expérience. À ce titre, la filmographie de Mike Mills est édifiante : avec Beginners (2010) et 20th Century Women (2016), il se livrait à l’exercice autobiographique en regardant le genre dans le miroir embellissant de la fiction, mettant l’emphase sur des réalités absurdes, excentriques, mais jamais fausses.
C’mon C’mon, son quatrième long métrage en 17 ans, continue d’approfondir un travail qui saisit l’individu et le plonge dans les profondeurs d’une authenticité immersive, de sorte que celui-ci, le spectateur, fasse l’expérience du monde à travers les yeux d’un autre, en l’occurrence le cinéaste lui-même. Ce qui ouvre et clôt le film, ce sont des mots, ceux d’une jeunesse américaine. Ici celle de Detroit où se rend Johnny (Joaquin Phoenix), journaliste radio. L’ex-capitale américaine de l’automobile est l’une de ses étapes dans sa série de reportages, pour laquelle il part à la rencontre de la jeunesse des grandes villes états-uniennes, s’enquérant de leurs espoirs comme de leurs craintes pour le futur.
C’est une histoire orale d’aujourd’hui qui s’écrit dans l’enregistreur de Johnny, et dans le film de Mike Mills. Avec ces entretiens – de vraies interviews avec des acteurs non professionnels, qui se livrent en toute honnêteté face caméra –, le cinéaste donne la clé du film, sans pour autant l’expliciter : il ne s’agit pas d’un film où l’on parle, mais où l’on écoute. Plus que des mots, ce que le film nous invite à écouter, ce sont des voix.
Le seul enfant qui refusera de se prêter à l’exercice est Jesse (Woody Norman), un garçon de neuf ans. Il est le neveu de Johnny, fils d’une sœur avec qui il n’est plus en contact depuis la mort de la mère. Viv (Gaby Hoffman) doit s’absenter pour veiller sur son ex-mari, souffrant d’une maladie mentale. Elle choisit de confier son fils à Johnny. Ce dernier embarque alors Jesse pour un voyage à travers le pays.
L’enfant, qui cache ses blessures derrière un comportement turbulent et bizarre, va apprendre à s’ouvrir, à porter un autre regard sur ce qui l’entoure. Son oncle, célibataire heurté par une rupture difficile, en s’improvisant père de substitution, trouvera lui aussi une autre façon d’aborder cette vie qui n’a plus de valeur quand on refuse de panser les plaies ouvertes.
Avec Mike Mills, il faut s’attendre à être transporté dans la beauté et la poésie des histoires de famille. C’est à travers elles que le plus new-yorkais des cinéastes californiens partage l’expérience du monde, lui qui a raconté, dans ses précédents films, le coming-out tardif de son père ou ses années d’apprentissage entouré de femmes. C’mon C’mon est une œuvre née à la suite de sa propre paternité, mais elle ne peut se réduire à cela.
Gestes artistiques et discours politique s’y substituent mutuellement, qu’il s’agisse de séquences filmées en style documentaire ou de pures digressions stylistiques. Ainsi, on est saisi par ces plans naturalistes qui montrent la vie, capturés sur le vif et insérés aléatoirement – croit-on – au montage, enveloppés par la voix de Joaquin Phoenix lisant des extraits de livres choisis par le réalisateur. Les liens sont tissés avec une douceur abstraite entre le personnel et l’universel, parvenant ainsi à distiller un message humaniste (et, donc, politique).
On trouve dans ces moments, qui sont la marque de fabrique du réalisateur, la meilleure expression de l’expérience du monde selon Mike Mills. La délicatesse de C’mon C’mon dévoile facilement ses intentions, mais prend le temps de révéler toute sa splendeur. C’est une ode à l’hétérogénéité du monde, une invitation à l’écouter (le micro et le casque, outils de travail de Johnny et qui fascinent Jesse, cachent à peine le message), portée par les superbes compositions atmosphériques des frères Bryce et Aaron Dessner.
Avec son noir et blanc léché, le film a quelque chose de symptomatique du cinéma d’auteur américain contemporain. Mais le jeu des acteurs, qui poussent le naturalisme dans les retranchements de l’originalité, en fait, dans le même temps, le remède. À ce titre, le jeune Woody Norman est époustouflant de maturité, du haut de ses onze ans; il livre tout bonnement la meilleure prestation d’acteur vue ces derniers temps, tous âges confondus.
C’mon C’mon
de Mike Mills
Avec Joaquin Phoenix, Woody Norman, Gaby Hoffman..
Genre drame
Durée 1 h 49
Woody Norman, onze ans, livre la meilleure prestation d’acteur vue ces derniers temps, tous âges confondus