Avouons-le sans détour : le monde actuel n’est guère réjouissant. Entre crise politique et crises sociale, écologique et sanitaire (la liste peut malheureusement être complétée à souhait), ça gronde de toute part et l’horizon nébuleux n’aide en rien. Du côté de l’Angleterre, dans une grisaille encore plus déprimante depuis l’adoption du Brexit aux relents populistes, l’ambiance du moment sert toutefois de terreau fertile à toute une bande d’agitateurs imaginatifs et en colère qui, avec l’appui de guitares aiguisées et à travers des coups de gueule bien sentis, font perdre des cheveux à Boris Johnson, à l’implantation capillaire déjà chaotique.
Certes, la chose n’est pas nouvelle. À l’orée des années 80, déjà, alors qu’un capitalisme sauvage s’installait au Royaume-Uni sous l’impulsion de Margaret Thatcher, la réponse artistique était aussi cinglante, particulièrement dans le nord du pays, étranglé par la pauvreté et le chômage. À Manchester, par exemple, la protestation s’incarnait notamment dans le punk aux mille visages de Mark E. Smith, leader du groupe The Fall. Près de quarante ans plus tard, coincé entre d’autres formations rebelles (IDLES, Shame, Squid…), voilà qu’arrive un autre Smith, James de son prénom, avec son imperméable ajusté, sa chemise repassée et ses lunettes sur le nez. Autre époque, autre style, mais le mordant est toujours là.
Lui et ses trois compères de Yard Act viennent de Leeds. Contrairement à d’autres, plus chevronnés, le groupe est né durant le confinement, suscitant rapidement le buzz – vu que, selon son leader, les gens n’avaient rien d’autre à faire qu’à écouter de la musique. Et à l’acheter aussi : leurs premiers singles, dévoilés en septembre 2020, se sont ainsi épuisés en quelques heures. Sympathique, et pour éviter à ses fans de payer une fortune sur les sites de revente, le quatuor les a réunis l’année suivante sur un premier EP (Dark Days), aussi aguichant que leurs rares concerts.
The Overload, leur premier long format, vient confirmer tout le bien que l’on pense d’eux. Un disque assez court (moins de quarante minutes), mais suffisamment dense pour libérer toute la frustration accumulée ces derniers temps. Dans le fond, Yard Act n’invente rien, calqué sur cette tendance à montrer les crocs à grand renfort de textes anticapitalistes, de satire sociale à la The Streets et de rejet farouche du conformisme. Par contre, c’est sur la forme que le groupe détonne, à travers des orientations qui le distinguent de la masse.
Il y a notamment ce choix du «spoken word», drôle et politisé (à la The Fall, encore et toujours), il est vrai remis à la mode par Sleaford Mods, groupe de Nottingham à la langue bien pendue et à l’accent à couper au couteau. Les «fucking cunt» en moins, James Smith s’impose en conteur-acteur, incarnant de multiples personnages pour mieux raconter, entre humour et empathie, la vie (douloureuse) qui passe et les existences contrariées. Il narre ainsi, comme dans une comédie musicale cynique, l’illusion de l’argent facile, la brutalité du libéralisme, les obsessions passéistes du Royaume-Uni…
Une réunion de onze chansons un peu moqueuses, mais aux mélodies sûres
Tout cela pourrait finalement se résumer à une phrase forte, évoquée dans la chanson-titre : «La surcharge de mécontentement, le constant fardeau de donner un sens». Mais musicalement, Yard Act tire également son épingle du jeu. Si The Overload est anguleux du début à la fin, le groupe sait prendre du recul et ne succombe pas facilement à la fureur qui gronde à l’intérieur. D’où cette réunion de onze chansons un peu moqueuses, mais aux mélodies sûres, à voir finalement comme une collection d’histoires courtes, dignes de Jarvis Cocker (Pulp). Un esprit facétieux et lucide qui arrive même à plaire à Elton John, fan avoué du groupe. Preuve supplémentaire que le monde part en vrille.
Yard Act « The Overload »
Sorti le 21 janvier
Label Island Records
Genre post-punk / rock