Pointée du doigt par l’extrême droite d’André Ventura et son parti Chega, qui pourrait réaliser une nouvelle percée électorale lors des législatives de dimanche au Portugal, la minorité Rom établie dans ce pays depuis des siècles se dit inquiète.
« Il y avait beaucoup de racisme caché et André Ventura l’a fait monter », déplore José Fernandes, restaurateur de 58 ans et président de l’association Techari, qui œuvre en faveur des quelque 4 000 Tsiganes de la commune de Loures. « J’ai peur pour l’avenir… de l’incitation à la haine, de représailles contre nos enfants à l’école, de policiers impliqués dans ces mouvements », témoigne-t-il.
C’est dans cette banlieue du nord de Lisbonne que le président de Chega a d’abord fait parler de lui en 2017, en accusant les Tsiganes d’être « accros » aux aides sociales ou de se considérer « au-dessus de la loi ». À l’époque, André Ventura était candidat aux municipales pour la principale formation d’opposition de centre droit, qu’il a quitté peu après afin de créer son propre parti.
Entré au Parlement lors des législatives d’octobre 2019, l’unique député de Chega a provoqué un tollé en proposant en mai 2020 « un plan spécifique d’approche et de confinement pour les communautés tsiganes face à la pandémie de covid-19 », selon un communiqué du parti cité par la presse locale.
« Politiquement incorrect »
« Il s’agissait de faire comprendre qu’il y avait au Portugal une communauté qui avait beaucoup de mal à respecter les règles de confinement », déclare-t-il dans un entretien. Évitant de préciser les mesures qu’il préconisait, André Ventura reconnaît que sa proposition avait suscité « une certaine incompréhension » et, pour cette raison, elle n’avait finalement pas été soumise au Parlement.
L’homme politique de 39 ans réitère toutefois les propos qu’il a tenus par le passé au sujet des Tsiganes qui, selon lui, posent « un problème chronique de dépendance aux aides sociales, de marginalité et de violence ». André Ventura rappelle, en outre, que « Chega est né dans une municipalité fortement marquée par la présence de la communauté tsigane » et que c’est à Loures qu’il a décidé de quitter le parti de droite modérée dont il était membre pour, dit-il, pouvoir tenir un discours « politiquement dynamique, et parfois incorrect ».
Mère de famille de 48 ans vivant dans un taudis avec 512 euros d’aides sociales pour six personnes, Maria Cardoso ne suit pas la campagne électorale, mais partage volontiers son opinion sur André Ventura : « c’est un raciste, il ne devrait pas discriminer les Tsiganes ».
« Pas d’opportunités »
Elle habite une frêle bâtisse avec des murs de briques restées à nu et un toit en tôle ondulée recouverte de bâches en plastique. C’est le dernier vestige d’un des bidonvilles que la commune de Loures, ancien fief communiste passé sous contrôle socialiste, a éradiqué en logeant leurs habitants dans des quartiers municipaux.
« Les Tsiganes voudraient s’intégrer, mais ceux qui pourraient nous donner du travail ne nous donnent pas d’opportunités », se plaint Maria Cardoso, qui n’a fréquenté que l’école primaire et s’est récemment vu refuser un emploi comme femme de ménage. « J’ai travaillé à l’essai pendant une journée et, quand ils ont compris que j’étais Tsigane, ils m’ont renvoyée », affirme-t-elle.
Estimés à plus de dix millions, les Roms représentent la plus importante minorité d’Europe et beaucoup d’entre eux souffrent d’exclusion sociale et d’extrême pauvreté, selon le Conseil de l’Europe.
Il n’y a pas de statistiques fiables permettant de savoir combien d’entre eux vivent au Portugal, cinq siècles après leur arrivée. Un rapport de 2014 a toutefois recensé quelque 30 000 Tsiganes, sur la base d’estimations des autorités locales. Ce chiffre ne représente que les Tsiganes « visibles », vivant dans des campements ou dans des logements sociaux, précise toutefois la sociologue Olga Magano, une des auteurs de l’étude réalisée pour le Haut Commissariat aux migrations.
« Bouc émissaire »
Selon cette spécialiste, il y a dans la société portugaise « une grande animosité envers les Tsiganes » et la progression électorale de Chega est « à la fois inquiétante et pas vraiment surprenante ». « André Ventura a vraiment bâti sa carrière sur ce thème des Roms », explique le politologue Alexandre Afonso, chercheur à l’université de Leyde (Pays-Bas), qui a publié un article constatant une corrélation entre la répartition géographique du vote Chega et l’importance de la minorité tsigane locale, ainsi que le nombre de bénéficiaires de minima sociaux.
« Chega a adapté le discours xénophobe classique de l’extrême droite au contexte portugais », où les Tsiganes représentent « le bouc émissaire le plus pratique », car « l’immigration n’est pas un sujet aussi porteur que dans d’autres contextes nationaux », précise-t-il. La stratégie semble efficace, puisque la candidature d’André Ventura à l’élection présidentielle de janvier 2021 a obtenu près de 12 % des suffrages, soit presque 500 000 voix sur une population de dix millions d’habitants.
Et après des scores de 1,3 % aux législatives d’octobre 2019, puis de 4,2 % aux municipales de septembre dernier, les sondages le créditent actuellement d’environ 7 % des intentions de vote.
José Fernandes, de l’association Techari, espère, pour sa part, que les électeurs se mobiliseront dimanche en faveur « des partis démocratiques qui veulent représenter tous les Portugais sans exception, y compris les Tsiganes ».