Régime 2G+, affluence plafonnée, concept sanitaire, artistes indisponibles, nouvelles annulations et reports… Verra-t-on des concerts au Luxembourg cette année ? Oui, mais pas à n’importe quelle condition. Témoignages d’acteurs du secteur.
S’il y a un enseignement à tirer de la crise sanitaire, qui chamboule les habitudes et les humeurs depuis presque deux ans, c’est que rien n’est gagné d’avance. La preuve est que, fin octobre 2021, le DJ allemand Paul Kalkbrenner réunissait 6 000 personnes du côté de la Rockhal.
Et d’autres concerts, moins grandiloquents, affichaient eux aussi «sold out», comme Black Country New Road (aux Rotondes) ou Altin Gün (Kulturfabrik). Des gens debout, un verre à la main, sans masque ni distanciation devant une scène, c’était inespéré, et chacun y voyait le signe de jours meilleurs.
Un optimisme toutefois vite douché, puisque trois mois plus tard, le variant Omicron a apporté dans son sillage son lot de restrictions et de complications. Les artistes manquent à l’appel et les salles doivent s’adapter aux nouveaux protocoles, définis le 24 décembre et révisés ce mardi.
À quoi faut-il donc s’attendre, alors que la saison démarre mollement ? Quatre acteurs du secteur musical font le point sur la situation.
Purge, enthousiasme et signes avant-coureurs
Vivre depuis deux ans avec la pandémie a donné certains réflexes à l’industrie musicale. En premier lieu, celui de se dire que rien n’est acquis. Ainsi, alors que depuis la mi-juin 2021, les barrières sanitaires se levaient peu à peu, vite, l’optimisme de voir des salles remplies et vivantes – le concert du 23 octobre de Paul Kalkbrenner est un exemple parlant – a muté en une méfiance de circonstance. «Tout le monde espérait vivre une autre saison», confie Marc Scheer, programmateur à la Kulturfabrik. «Mais il y avait déjà des signes avant-coureurs.»
Chez lui, l’enthousiasme, notamment après le show, début décembre, d’Altin Gün devant 500 personnes, est retombé comme un soufflet, au gré des premières annulations avant Noël, comme celle de Chouk Bwa & the Ångströmers. Selon lui, d’autres sont à prévoir.
«On n’est pas sorti de l’auberge !», lâche-t-il, conscient des dommages artistiques, moraux et financiers de tels renversements. «L’année dernière, on a eu un sacré trou au niveau des recettes», dit-il, heureusement compensé par les aides et autres subventions. «On a dû trouver des plans B, C, se montrer flexible». Dans son abattement, il reconnaît que la situation est plus compliquée «pour les acteurs privés».
Le fait que le Luxembourg soit classé comme zone à haut risque par l’Allemagne est bien plus néfaste que la 2G+
Justement, à l’Atelier, les chiffres de l’année 2021 parlent d’eux-mêmes. «On a tourné à 10 % de nos activités habituelles», note Michel Welter, responsable d’A-Promotions, structure en charge de la programmation. Il avoue avoir senti, depuis les fêtes, «un coup de blues», favorisé par le covid qu’il a contracté il y a une semaine.
Mais pas que… «Remettre son équipe en chômage partiel, ça me crève le cœur !», explique-t-il, bien qu’actuellement (et jusqu’à fin février) la salle bénéficie d’une aide «cruciale» à travers les «frais non couverts», mise en place par le ministère des Classes moyennes. «Ça a été une petite lueur d’espoir, car même si on avait fait des réserves importantes en 2020, aucune ne dure indéfiniment.» Au point que sans ces soutiens pécuniaires, l’Atelier aurait pu fermer ses portes.
2G+ et plafonnement : des contraintes connues
Depuis mardi (et jusqu’au 28 février), pour organiser un concert, il faudra respecter un nouveau protocole : demander à un spectateur sa carte d’identité, une fois, bien sûr, que l’on aura vérifié qu’il est bien sous le régime 2G+ (vacciné avec une dose de rappel – à moins que votre vaccin ne remonte à moins de six mois – ou vacciné/rétabli avec, en sus, un résultat de test négatif à faire sur place).
Ce qui oblige les salles à ressortir les tests antigéniques, les mêmes qu’ils ont dû renvoyer fin octobre (pour mettre la pression sur les non-vaccinés). «On en a reçu un bon paquet pour les semaines à venir», confirme Marc Hauser, le programmateur des Rotondes, qui, pragmatique et ne voyant pas de «scénario catastrophe» se profiler, enchaîne : «Pour accéder à la salle, ça va être encore contraignant, mais au moins, aujourd’hui, on sait faire !»
Chez ses confrères, l’approche ne varie pas. À l’instar de Michel Welter, Olivier Toth, le directeur de la Rockhal, se demande toujours – faute d’études et de statistiques précises – si un tel contrôle à l’entrée ne leur fait pas «perdre quelques spectateurs».
Ce dernier se veut même positif. «Même avec ces règles, on peut exploiter une capacité maximale. Ce qui est loin d’être le cas partout en Europe.» En effet, malgré le plafonnement fixé aujourd’hui à 200 personnes, chaque salle peut se prévaloir d’un concept sanitaire (défini et soumis à la direction de la Santé) pour voir plus grand.
«On est quand même loin de la situation que l’on a connue il y a un an», relativise Marc Hauser, se remémorant, avec douleur, les concerts assis, distanciés, avec masque et sans boisson. Honnête, il confesse bien s’en sortir :
«On passe d’un club de 300 à 200 places. Ce n’est pas si grave que ça !» Marc Scheer partage le point de vue, lui qui peut s’appuyer sur une seconde salle pouvant accueillir 250 personnes. Quand bien même, «on ne part pas de zéro» et, au besoin, mettre en place un concept sanitaire «n’est pas si difficile», même si, actuellement, la KuFa n’en a pas l’usage, avec une programmation basée sur de «petites jauges».
Même son de cloche à l’Atelier qui, depuis deux ans, est sorti de son individualisme pour s’ouvrir – un peu par la force des choses – à de nombreux partenaires (à Mondorf, Echternach, Dudelange…). Du coup, rue de Hollerich, on est devenu spécialiste de la chose, bien qu’il faille toujours s’adapter aux prescriptions du moment, comme en ce qui concerne le renouvellement de l’air.
Tout le monde espérait vivre une autre saison (…) Mais là, on n’est pas sorti de l’auberge!
«De toute façon, on ne va pas faire un concert de 1 000 personnes demain !», tempère Michel Welter, même si la venue de Caribou, toujours fixée au 1er février, va nécessiter de soumettre un concept sanitaire au ministère de la Santé, avec qui la salle entretient «de bons rapports».
À la Rockhal, enfin, alors que les spectacles (devant un public assis) dominent la programmation en ce début d’année, on se «prépare» au problème. «Oui, les discussion sont en cours», témoigne Olivier Toth, sans qu’il sache où elles vont aboutir.
«Ce qui est clair, c’est que l’on est guidé par la loi et le dialogue avec les scientifiques», déclare-t-il avant une dernière réflexion qui met tout le monde d’accord : «À quoi cela sert-il d’avoir une capacité maximale et du public si on n’a pas de musiciens ou de groupes à disposition?»
Une «matière première» qui manque cruellement
Comme une récente mauvaise habitude, en ce début d’année, la tâche d’un programmateur consiste à annuler et reporter ce qu’il a mis des mois à construire. Un pas en avant, deux en arrière, la danse de Saint-Guy reprend… «C’est devenu ridicule ! Avant, on bossait avec sept-huit mois d’avance, au minimum, martèle Michel Welter. Aujourd’hui, on n’arrive même plus à se projeter jusqu’en février.»
Autant dire que les agendas, au moins pour les deux prochains mois, vont connaître de sérieuses coupes franches. «Toute une flopée de groupes sont en suspens», admet Marc Hauser, sans citer de noms. Et même quand on cherche à assurer, avec une affiche tournée vers le Benelux, «tout reste fragile», confie Marc Scheer.
La raison ? La dépendance des salles aux tournées des musiciens. «Souvent, ils ont une quinzaine de dates prévues, détaille le spécialiste musique des Rotondes. Si ça coince quelque part, ils ne tournent plus, car ils perdent de l’argent.»
Dans ce sens, le Grand-Duché est à voir comme «le maillon d’une grosse chaîne» constituée par les pays voisins, dixit Michel Welter. «Faire jouer Serge Tonnar, c’est bien, mais on est avant tout dépendant de l’Europe ! Et ça, c’est problématique.» D’ailleurs, pour lui, «le fait que le Luxembourg soit classé comme zone à haut risque par l’Allemagne est bien plus néfaste que la 2G+».
Président de l’«European Arenas Association», Olivier Toth a un regard aiguisé sur la situation : «Mi-2021, certains partenaires, en France, en Belgique et en Angleterre, semblaient ouverts à revenir aux grosses capacités. Mais le vent a vite tourné et la crainte que le premier trimestre 2022 soit affecté est devenue réelle. Cela s’est malheureusement confirmé…»
Toujours la faute à cette forte interdépendance : «Les tournées ne trouvent plus leur chemin en Europe. La plupart des artistes, grands ou petits, ont besoin de circuler facilement à travers un territoire. Pour ce faire, ils sont tributaires d’une stabilité vis-à-vis des restrictions qui s’appliquent dans les différents pays. Ce qui n’est pas le cas.»
Seul maigre rayon de soleil dans ce brouillard persistant, pour le directeur de la Rockhal : «Ce que l’on décale, on ne le fait plus sur une année, mais sur plusieurs semaines.»
Public à mobiliser et solution extérieure
Concrètement, il ne va pas falloir s’attendre à de gros concerts ces prochaines semaines. Et, par ruissellement, ni à de grosses affluences. Constat d’autant plus juste que le public se montre de plus en plus frileux (ou prudent). Marc Scheer : «Il suffit de voir les préventes : les gens ne se pressent plus pour acheter leur ticket. Même dans les grosses salles, ça traîne des pieds!» Justement, pour la Rockhal, il est urgent de les rassurer. «Il faut définir rapidement les futurs paramètres, dire ce qu’il est possible d’envisager ou pas. Certains artistes veulent le savoir, mais derrière, il y a aussi tout un public à éclairer.»
Et même si Olivier Toth se persuade qu’il va retrouver «des concerts par temps froid à l’intérieur des salles», pour l’instant, les premières chaleurs risquent une nouvelle fois de sauver la mise – à moins d’un heureux rebondissement et d’un assouplissement des règles face à un variant certes contagieux, mais pas si dangereux.
«Oui, on se dit que ce sera toujours plus facile de travailler au printemps ou en été, mais il faut surtout aller de l’avant, tous les jours!», se motive Michel Welter dans une toux grasse, avouant avoir trouvé «un sens nouveau» à son métier-passion, pour lequel il compte «se battre». Face à l’hiver et ses tourments, dans une même voix, le secteur fait front. En attendant de monter le son.
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