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[Cinéma] Notre sélection des six meilleurs films de 2021


2021, une année de grands films et de surprises. (Photo : Editpress)

De la fiction surréaliste au film musical flamboyant, d’une Palme d’or anticonformiste à un Lion d’or en forme d’ode aux oubliés en passant par de glorieuses (co)productions nationales, l’année 2021 a été généreuse en grands films et surprises. La preuve par six.

Promising Young Woman
Dans la gueule du loup

Pour ses débuts derrière la caméra, l’actrice, scénariste et réalisatrice britannique Emerald Fennell frappe fort. À travers l’histoire de Cassie (Carey Mulligan), jeune femme au passé marqué par un sombre drame, qui feint l’ébriété pour attirer les hommes et tester leur comportement prédateur, elle réinvente le mythe du Petit Chaperon rouge. Plus qu’un manifeste post-#MeToo, le film ne se contente pas de régler ses comptes avec la misogynie ambiante : il se prête à l’examen – risqué, mais d’une justesse féroce – des dérives et des actes répréhensibles de la part des deux sexes. La réflexion vers laquelle le spectateur est emmené entend que l’on peut être féministe sans être à charge… et que, donc, on se doit d’être féministe. Mais Promising Young Woman est aussi un petit bijou d’écriture qui vogue d’un genre à l’autre, l’ironie de la comédie noire servant de couverture à la brutalité du thriller, et ses multiples rebondissements n’épargnent personne.

Onoda
Terrible jungle

Chef-d’œuvre surprise de l’année, le deuxième film d’Arthur Harari fait presque figure d’anomalie dans le cinéma français, par son ampleur et sa triple ambition esthétique, narrative et technique. Sur une durée de trois heures et une immersion au cœur de la jungle, le réalisateur de 40 ans raconte l’histoire vraie de Hiroo Onoda, soldat japonais recruté par une section secrète de l’armée pour protéger une île des Philippines, alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin. Replié au centre de l’île et coupé du monde, Onoda croira à une ruse de l’ennemi lorsqu’il apprendra la défaite du Japon; pendant trente ans, caché dans la jungle, le soldat refusera de rendre les armes. Influencé par les romans d’aventure de Joseph Conrad et Robert Louis Stevenson comme par le cinéma de Werner Herzog, James Gray et Terrence Malick, Onoda est un très grand film sur la solitude et l’aliénation, aux niveaux de lecture multiples et qui donnent le vertige.

Nomadland
Sur la route

Présenté sans maquillage et filmé à la lumière naturelle, le visage de Frances McDormand apparaît comme une cartographie de l’Amérique des perdants, des oubliés, des invisibles. Bien loin de l’univers farfelu des frères Coen, dont l’actrice est une pierre angulaire, on la découvre sous le simple nom de Fern, une Américaine à qui la crise des subprimes a tout pris : maison, mari, travail… Depuis, Fern vit dans un van aménagé, subsiste de petits travaux saisonniers et sillonne les routes de l’Ouest américain. Avec une approche quasi documentaire, Chloé Zhao adapte un livre-enquête de la journaliste Jessica Bruder et s’immerge, avec son actrice – à l’origine du projet –, dans la vie de ces «van dwellers», devenus nomades par choix ou par obligation. Les vagabonds célestes de Jack Kerouac sont des reliques du passé : victimes injustes d’une Amérique qui cherche à les oublier, les nomades modernes ont l’âme brisée mais sont regardés avec une honnêteté qui force le respect.

Le Sommet des dieux
Cinéma de hauteur

À partir d’un manga qui totalise plus de 1 500 pages, le réalisateur français Patrick Imbert tire un «petit» film d’à peine une heure trente. Dès les prémices du projet, Le Sommet des dieux était placé sous le signe du vertige et de l’entreprise monumentale. À juste titre, car ce bijou d’animation, coproduit par la société de production luxembourgeoise Mélusine, donne à voir quelques-unes des plus impressionnantes séquences d’alpinisme jamais montrées au cinéma. Empruntant à la ligne claire héritée de la bande dessinée franco-belge, Patrick Imbert mêle habilement fiction, réalité et légende et place son récit vertigineux à cheval sur deux temporalités. Un film habité par l’immensité de la montagne (plus qu’un décor, un vrai personnage) et une fable étourdissante sur la détermination, le dépassement de soi et la poursuite de l’insaisissable. Un auteur est né, avec son langage, son style et ses émotions : il s’appelle Patrick Imbert.

House of Gucci
Soap à l’oseille

À 84 ans, Ridley Scott revient aux affaires avec deux (très) longs métrages. D’abord, le drame médiéval et épique The Last Duel, qui épouse plusieurs points de vue pour faire la lumière sur une affaire de viol et les raisons qui ont amené deux amis chevaliers à s’affronter jusqu’à la mort. Le suivant, House of Gucci, lui fait écho à bien des égards… Pourtant, en explorant les querelles de famille et de business – trahisons, vengeances, secrets et autres magouilles – qui ont mené à l’assassinat, en 1995, de Maurizio Gucci, patron de la fameuse entreprise de haute couture italienne, Ridley Scott choisit d’aller vers la comédie dramatique outrancière. Réglée comme un «soap opera», où tout est toujours excessif, cette fresque revisite la tragédie antique en la couplant à la comédie à l’italienne. Son personnage principal, joué par une époustouflante Lady Gaga, permet même de tisser une satire hilarante et féroce des riches et célèbres qui, à n’en pas douter, se bonifiera avec l’âge.

È stata la mano di Dio
Naples est magique

Paolo Sorrentino a photographié Rome dans sa plus stupéfiante beauté comme dans ses plus profonds secrets; avec le même sens de l’esthétisme, il est parti capturer la majesté des Alpes suisses (Youth, 2016), les mystères reclus dans les palais vénitiens (The New Pope, 2020) et l’infinité des routes américaines (This Must Be the Place, 2010). Vingt ans après ses débuts, le réalisateur italien s’offre un retour aux sources, géographique et artistique, et pose sa caméra à Naples pour un film à teneur autobiographique. Il y raconte son adolescence, sa vie de famille – dans les joies comme dans les peines – et la naissance de sa vocation de cinéaste. Sans oublier sa ville, bien sûr, sous protection divine : foyer de tous les miracles, Naples est racontée avec une tendresse infinie, de l’effervescence folle des quartiers défavorisés au défilé de «freaks» qui peuplent ses rues, rappelant à chaque seconde que l’élément le plus important du cinéma de Paolo Sorrentino, c’est la magie.

Valentin Maniglia