Gast Schumacher, père de Martine et Frank Schumacher (domaine Schumacher-Knepper, à Wintrange) et ancien président des vignerons indépendants, est décédé le 1er décembre.
Pour être président de l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants (OPVI), se nommer Schumacher est jusqu’ici un prérequis. Gast Schumacher répondait parfaitement à ce critère. Il succédait à Pierre Schumacher au milieu des années 1980 et laissait le flambeau en 1996 à Ern Schumacher, qui le tient toujours aujourd’hui.
À la différence des deux autres (Ern étant le fils de Pierre), Gast ne faisait pas partie de la même famille. Enfin, de la famille au sens génétique du terme, parce que les vignerons indépendants engagés dans leur organisation en forment bel et bien une.
La Moselle viticole a mis longtemps avant de se structurer et les vignerons d’aujourd’hui doivent à cette génération pas si lointaine le fait d’être unis au sein d’une structure qui compte dans le paysage politique : l’OPVI.
«Le 3 juin 1966, Gast était un des membres fondateurs de l‘organisation, rappelle Ern Schumacher. Ça a toujours été quelqu’un de très engagé, au sein de notre comité, mais aussi à la Chambre d’agriculture où il fallait discuter de règlements très importants, mais très rébarbatifs dont personne ne voulait s’occuper.» La problématique des pensions (notamment sur le sujet des épouses de viticulteurs, qui en étaient exclues) était, à l’époque, sur le haut de la pile.
«Il avait bon caractère»
Ern Schumacher, qui n’est pas un flagorneur, avait apprécié travailler avec lui. «Il avait bon caractère, je dois dire, glisse-t-il. Ce n’était pas le type qui se fâche à la moindre contrariété. Dès que la situation se tendait, il préférait faire une blague qui avait le mérite de calmer un peu tout le monde!» L’actuel président des vignerons indépendants associe Gast Schumacher à Guy Düsseldorf, ancien secrétaire de l’OPVI, lui aussi décédé très récemment. «Ce sont deux personnes qui ont beaucoup travaillé pour notre profession.»
Gast Schumacher n’était évidemment pas qu’un homme de représentation, c’était avant tout un vigneron. Lorsqu’au début des années 1960, il reprend la ferme familiale de Wintrange avec son frère Ern (attention aux homonymies!), on y fait de la polyculture depuis huit générations. «Il y avait un peu de vignes – environ trois hectares – mais aussi des vaches, des cochons…, rappelle Frank, son fils, qui dirige aujourd’hui la production. Ce sont eux qui ont rapidement décidé de ne plus faire que de la viticulture.»
Une poignée d’années plus tard, en 1965, ils rachètent ainsi les vignes du notaire de Remich Constant Knepper. Ces parcelles sont toutes situées sur le Wintrange Felsberg, cet excellent terroir qui domine les étangs de Remerschen. Cette acquisition est une très belle prise, puisque Constant Knepper était un notable qui avait la réputation de produire d’excellents vins. Ces vignes n’étaient d’ailleurs plantées que de riesling et de pinot gris, des cépages nobles, alors que la Moselle écoulait à l’époque surtout de l’elbling et du rivaner pour remplir les verres sur les comptoirs des bistrots.
À l’affût des innovations
Pour emporter la mise, les frères Gast et Ern avaient dû céder quelques concessions : que le nom Constant Knepper figure toujours sur l’étiquette et que la mise en vente se fasse toujours par le biais d’enchères avec des lots de 250 à 300 bouteilles. Si le procédé a été abandonné aujourd’hui, le nom de domaine a accueilli celui du notaire et les bouteilles portent toujours son patronyme. Elles représentent toujours le haut de la gamme du domaine : Constant Knepper n’a pas été lésé!
On ne se rend sans doute pas suffisamment compte du dynamisme dont ont fait preuve les vignerons de l’époque, en tout cas de ceux qui ont légué les domaines qui comptent aujourd’hui. Après de longues années de stagnation, le progrès technique a fait de grandes enjambées. «Mon père a très vite planté ses vignes avec des rangées de 2 m plutôt que de 1,2 ou de 1,3 m pour pouvoir rouler avec le tracteur, souligne Frank Schumacher. Jusque-là, on passait la charrue avec un treuil et tout le reste se faisait à la main. Pour traiter, il fallait passer le tuyau à pied dans toutes les vignes!»
Dans la cave aussi, il accueillait avec enthousiasme les nouvelles possibilités. «Nous étions parmi les premiers, si ce n’est les premiers, à investir dans des cuves en inox, se souvient Frank Schumacher. C’était un sacré progrès! Autrement, nous mettions les vins dans des barriques, des cuves en béton, en fer émaillé ou dans ces cuves en fibre de verre qui donnaient un si mauvais goût…»
Une succession réussie
Gast et Ern Schumacher ont laissé les clés d’un domaine performant à Frank et Martine en 2002, deux des trois enfants de Gast. «Il était content de voir que nous allions poursuivre son travail», sourit Frank. Et ravi aussi de constater que Martine s’y investissait. À l’époque, les filles de vignerons qui succédaient à leurs parents étaient bien plus rares qu’aujourd’hui. Dans les bureaux des domaines, on trouvait beaucoup d’épouses de vignerons, mais très rarement leurs filles.
Depuis, le domaine Schumacher-Knepper n’a cessé d’évoluer. Il s’affiche comme l’une des meilleures adresses du pays, non seulement parce qu’ils possèdent parmi les meilleures vignes d’un des meilleurs terroirs, mais aussi parce que les vignerons effectuent leur travail avec passion et engagement, ce qui ne manquait pas de plaire à l’ancienne génération.
«Mon père était très enthousiaste lorsqu’il a vu le chenillard qui nous permet de travailler dans les fortes pentes, même lorsque le terrain est boueux, se rappelle Frank. Il était aussi très content de voir le nouveau hall, que nous sommes en train d’achever à l’entrée du village.»
Même à la retraite, Gast Schumacher n’était jamais très loin de la cave et ce n’était pas pour déplaire à Frank. «Jusque dans les dernières semaines, je lui demandais toujours conseil sur tout… même si je ne suivais pas toujours ses avis!»
Gast Schumacher est décédé le 1er décembre, quelques mois après que le domaine Schumacher-Knepper s’est singulièrement agrandi en intégrant les 5 hectares de la belle-famille de Martine : celles du domaine Linden-Heinisch (Ehnen). Frank louait les qualités d’entrepreneur de son père, visiblement, il y a une bonne dose d’hérédité là-dedans!
Erwan Nonet
Un conteur à la mémoire infaillible
Nous avions longuement discuté avec Gast Schumacher avant d’écrire sur le terroir du Felsberg, ce lieu atypique du sud de la Moselle qui surplombe abruptement la vallée à l’endroit où elle est la plus large. Frank et Martine Schumacher avait eu la bonne idée de le convier à cet entretien, car leur père était une encyclopédie vivante sur le sujet, jamais à court d’anecdotes passionnantes à raconter.
Il nous expliquait ainsi que le Felsberg avait été un des précurseurs d’une viticulture moderne au Grand-Duché, puisque «dès 1897, une assemblée générale des habitants de Wintrange avait validé à une très large majorité l’organisation du vignoble, soulignait-il. Ces travaux entraient dans le cadre de l’expansion et la modernisation du vignoble qui permettait de répondre à la forte demande en raisins par les Allemands pour leur Sekt (NDLR : mousseux).»
À l’époque (et jusqu’à la Première Guerre mondiale), le Luxembourg et l’Allemagne étaient unis par une union douanière, le Zollverein, qui facilitait ces échanges. «Avant ce vote, il n’y avait pas de routes pour accéder aux vignes, ajoutait-il. Tout devait être transporté à dos d’homme par des chemins difficiles.»
Une jolie anecdote illustre ce sujet. Elle concerne la statue de Saint-Donat, qui trône toujours au-dessus des vignes.
«Pour accompagner le développement du Felsberg, le curé de Wintrange, M. Schrohweiler, avait eu l’idée de sanctifier le coteau en y érigeant une statue du protecteur des vignerons, saint Donat. Les paroissiens ont approuvé et la statue a été achetée. Ce n’est pas une œuvre originale, qui aurait été trop chère, elle avait été achetée sur catalogue et on retrouve le même modèle à d’autres endroits. En 1898, elle avait été livrée au pied de la colline et il fallait la monter… C’est le colosse du village, Jean Hengers, qui s’était dévoué. Il l’avait prise sur son dos et avait escaladé la pente sur un mauvais sentier casse-pattes! L’escalier de 590 marches, qui part juste derrière notre domaine, n’existait pas encore : il n’a été construit qu’en 1933!»
À toute la famille, nous adressons nos plus sincères condoléances.