Antonin Peretjatko ne démérite pas d’être le plus brillant des originaux du cinéma français. Avec La Pièce rapportée, son troisième long métrage en salle ce mercredi, il dynamite le vaudeville en couplant le genre à une critique acerbe de la bourgeoisie.
Véritable aventurier de la comédie française, Antonin Peretjatko s’autorise un retour à Paris après un détour par la Guyane, décor de son loufoque La Loi de la jungle (2016), où un employé de ministère partait superviser la construction d’une piste de ski «indoor».
Découvert au festival de Cannes 2013 avec le «road movie» La Fille du 14 juillet – cette même édition cannoise qui révéla une nouvelle génération de cinéastes français, dont Justine Triet, Yann Gonzalez ou Sébastien Betbeder –, Peretjatko continue de prouver qu’il est un original dans le paysage cinématographique hexagonal avec La Pièce rapportée, son troisième long métrage, en salles dès aujourd’hui.
Dans ce nouveau film, Peretjatko délaisse l’aventure pour se confiner, en accord avec la situation sanitaire. Et choisit de le faire dans un hôtel particulier du 16e arrondissement de la capitale française, «qui pourrait être celui-ci… ou encore celui-ci… ou bien alors celui-là». La demeure en question, coupée de l’extérieur par de grandes grilles opaques, est habitée par la famille Château-Têtard : la «reine mère», Adélaïde (Josiane Balasko), qu’un accident a laissée en fauteuil roulant, occupe l’espace en gardienne des traditions d’une bourgeoisie moribonde.
Humour tantôt absurde, tantôt féroce
Depuis la mort du père, c’est le fils, Paul (Philippe Katerine), qui a pris la tête de l’entreprise familiale, qui a fait fortune dans les ascenseurs et les valises à roulettes. Paul n’est plus tout jeune et la mère le presse de trouver quelqu’un pour donner à la famille un héritier; il jette son dévolu sur Ava (Anaïs Demoustier), employée de la RATP. La mère voit d’un mauvais œil l’arrivée de celle-ci, qui n’est «pas du sérail», et, persuadée qu’elle trompe Paul, engage un détective privé pour la suivre. Mais, désireuse de tromper l’ennui qui rythme son mariage fortuné, Ava séduit Jérôme (William Lebghil), chargé de la filature, qui ne va pas tarder à tomber amoureux d’elle…
Il y a, dans un premier temps, l’effet de surprise produit par le genre – le vaudeville – et le décor parisien, en rupture avec les précédents films du cinéaste. Un décor qui, en effet, n’est plus en accord avec le goût du voyage qu’illustraient La Fille du 14 juillet et La Loi de la jungle. Pourtant, Peterjatko reste fidèle à son rejet des conventions et continue d’explorer un humour tantôt absurde, tantôt féroce, qui le place parmi les nouveaux maîtres de la comédie.
Une bourgeoisie cynique
En ouverture, un avertissement : «Par souci de parité, le titre de ce film contient autant de voyelles que de consonnes.» Puis une première scène qui donne le ton, avec une partie de chasse qui se termine sur ce score : «Gilets jaunes 8, sangliers 0», preuve à la fois de la piètre habileté de ces bourgeois chasseurs et du peu d’estime qu’ils ont pour les classes sociales inférieures.
Dans le monde fou d’Antonin Peretjatko, le comique, comme le hasard, découle de l’environnement social et politique de leur époque. Ainsi, c’est une grève des taxis qui oblige Paul à s’aventurer pour la première fois de sa vie dans le métro, où il rencontre Ava. Celle-ci, qui a «les gènes de la pauvreté», dixit sa belle-mère, entreprend à travers son mariage une ascension sociale littérale, puisqu’elle sort de sous la terre pour une chambre tout confort au premier étage de la maison des Château-Têtard.
Le vaudeville, style de comédie éminemment inoffensif, devient alors l’affaire du mauvais garçon Peretjatko, qui se plaît à dépeindre le cynisme de cette bourgeoisie que l’on croyait disparue et qui ne connaît vraiment rien du monde extérieur.
Porté par une distribution renversante
Au fil des rebondissements – qui restent, eux, fidèles aux conventions, jusqu’à un final qui les dynamite en beauté –, on découvre donc des très riches qui ne dérivent jamais de leur entre-soi, de leur mépris de classe, de leur racisme… On fête la suppression de l’impôt sur la fortune en donnant une grande réception, car il est important de vite dépenser l’argent qui n’ira pas aux impôts; on ferme les fenêtres de la Rolls-Royce quand on roule à proximité des tentes où vivent les sans-abri et les réfugiés; on fait fortune en vendant ses inventions aux dictateurs (la plateforme pour fauteuil roulant qu’utilise la mère est ainsi nommée «le Pinochet»)… Le dégoût de la bourgeoisie va de pair avec l’ennui de l’héroïne, que celle-ci cache derrière une posture d’ingénue (et qui lui vaudra le surnom de «petite pute»).
Hilarant de bout en bout, La Pièce rapportée est porté en premier lieu par une distribution renversante : Anaïs Demoustier est plus pétillante que jamais, Philippe Katerine parfait en vieux garçon devenu un mari mou et stupide, et Josiane Balasko survole le film dans son incarnation géniale de matrone excédée.
Mais c’est surtout la maestria du réalisateur qui finit de rendre le long métrage unique, à l’opposé complet du théâtre filmé auquel se prête l’histoire. Généreux dans son utilisation des artifices techniques – zooms, jeux sur les changements de focales, caméra à l’envers – et scénaristiques – flash-back, voix-off assurée par le cinéaste lui-même, situations et clins d’œil «cartoonesques» –, La Pièce rapportée est un petit bijou de comédie, doucement punk et pleine de bon sens, comme on en voit malheureusement trop peu.
Valentin Maniglia