Sans-papiers et harcelée au travail, Jirlene a eu le courage de dénoncer son patron en portant plainte. Aujourd’hui régularisée, son combat ouvre la voie pour que d’autres victimes en situation irrégulière brisent le silence.
Six mois après avoir été menacée d’expulsion alors qu’elle venait de déposer plainte contre son patron, Jirlene, cette Brésilienne sans-papiers qui avait fait la une de l’actualité, vient tout juste d’être régularisée : «Je suis si heureuse», confie la jeune femme de 35 ans dans un sourire solaire. «Je ne peux pas décrire avec des mots le soulagement que je ressens. Je n’y croyais plus.»
Nous sommes le 17 juin dernier. Accompagnée par Jessica Lopes, l’assistante sociale de l’ASTI à qui elle vient de confier son cauchemar, Jirlene se rend au commissariat pour porter plainte contre le patron du café où elle travaille clandestinement : alors que son titre de séjour a expiré, l’homme en profite pour lui infliger attouchements, violence verbale, physique et menaces, notamment par téléphone – des messages explicites sont présentés aux policiers.
Pour moi, c’était le monde à l’envers!
Mais surprise, au terme de plusieurs heures d’audition, les forces de l’ordre lui confisquent son passeport et effectuent un signalement à la direction de l’Immigration : la jeune Brésilienne dispose de 30 jours pour quitter le pays. «Pour moi, c’était le monde à l’envers! Je m’étais présentée de mon plein gré pour dénoncer des agissements graves, en tant que victime, et c’était moi qu’on traitait comme une criminelle. Je ne m’attendais pas du tout à ça», raconte-t-elle.
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Cinq associations portent l’affaire sur la place publique, pointant de lourds dysfonctionnements en matière de protection des migrants en situation irrégulière et, sous la pression de l’opinion publique, l’ordre d’éloignement finit par être suspendu pour six mois, à la demande du ministre Jean Asselborn.
En coulisses, l’ASTI entame un travail de plaidoyer sur les violences et l’exploitation par le travail avec l’objectif de protéger les victimes et de leur permettre de parler librement sans craindre de trop lourdes conséquences. L’association rencontre la direction de l’Immigration, puis une délégation du ministère de la Justice, qui promettent des concertations interministérielles. Mais sans les acteurs de terrain : «Nous sommes complètement exclus», regrette Jessica Lopes. «Or notre proximité avec les personnes sans-papiers fait de nous des experts, on connaît bien les problématiques auxquelles elles sont confrontées.»
Dans le cas de Jirlene, l’Immigration a finalement accédé à sa demande de régularisation sur base de l’article 98bis de la loi sur la libre circulation des personnes : il prévoit la possibilité, depuis 2018, de délivrer une autorisation de séjour pour «les victimes d’une infraction à l’interdiction de l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier commise dans des circonstances aggravantes».
Nous sommes nés avec une voix, c’est important de l’utiliser
«C’est la première fois qu’il est appliqué et c’est très important, car on va maintenant pouvoir, en cas d’exploitation ou d’abus, s’appuyer sur cet article pour demander la régularisation de victimes», souligne l’assistante sociale qui estime que c’est «un message fort» à l’intention de toutes les personnes sans papiers «pour leur dire qu’elles ont, elles aussi, des droits».
Quant à sa plainte, Jirlene n’a aucune information sur les suites qui lui sont réservées, alors que son ancien patron continue de la harceler et de l’intimider, elle et certains de ses soutiens, par différents moyens. La jeune femme craint toujours qu’il s’en prenne à elle.
Néanmoins, elle veut croire en l’avenir : «Je me réjouis de démarrer un nouvel emploi en tant que serveuse dès le 1er janvier, en situation régulière cette fois, mais je souhaite surtout faire reconnaître mes diplômes d’infirmière obtenus au Brésil. J’espère m’installer bientôt dans un véritable logement car, pour l’instant, je loue une chambre», confie la pétillante trentenaire, qui souhaite également améliorer son français, elle qui ne parle que le portugais.
Et si c’était à refaire? «Je le referais 1 000 fois», tranche-t-elle, consciente que sa situation personnelle va sans doute contribuer à dénouer la situation pour d’autres victimes. «Depuis peu, j’arrive à être fière de moi. Je me dis que j’ai eu raison d’aller jusqu’au bout, et j’encourage tout le monde à parler : sans témoignage, pas de statistiques, et sans statistiques, pas de protection ou de mesures politiques. Nous sommes nés avec une voix, c’est important de l’utiliser», conclut-elle.
Christelle Brucker