Avocat parmi les meilleurs de France, Richard Malka publie Le Droit d’emmerder Dieu. C’est le texte intégral de sa plaidoirie prononcée le 4 décembre 2020, lors du «procès Charlie». Un texte essentiel et indispensable.
Un an après il s’interroge, l’avoue mezzo voce. Va-t-il continuer? Faut-il continuer? À 53 ans, Richard Malka est un des avocats vedettes en France. L’un des meilleurs, assurent nombre de ses confrères. On le retrouve en librairies avec Le Droit d’emmerder Dieu, texte pas banal puisque c’est, en son intégralité, la plaidoirie qu’il a prononcée le 4 décembre 2020 devant la cour d’assises spéciale à Paris, lors du procès consécutif aux attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher en janvier 2015. Il y représentait Charlie Hebdo en tant que personne morale.
Un an après, la plaidoirie demeure d’une brillance rare, d’une évidence absolue. Les mots cognent, vibrent, prennent au plus profond de celle ou celui qui écoute, qui lit… Par ailleurs romancier et scénariste de BD, il est réputé spécialiste des affaires de presse et de liberté d’expression. À ses débuts, il a côtoyé un autre grand avocat français, Georges Kiejman, qui, aujourd’hui dans son livre de mémoires le définit comme «talentueux et généreux». Son quotidien est rythmé par des principes auxquels il n’entend jamais déroger : la liberté d’expression, la laïcité… et aussi le droit au blasphème. Ce droit qu’il résume en une formule choc : «le droit d’emmerder Dieu». Rencontre.
Aviez-vous imaginé, ne serait-ce qu’un instant, ne pas participer au « procès Charlie« , qui a débuté le 2 septembre 2020 devant la cour d’assises spéciale de Paris?
Richard Malka : Mais, pour moi, c’était une évidence. Je ne pouvais pas ne pas y être. Charlie Hebdo et moi, c’est trente ans de compagnonnage. J’avais 23 ans en 1992, j’étais un jeune avocat et les personnes qui relançaient Charlie m’ont demandé de rédiger les statuts de la société… Alors, oui, je ne pouvais être nulle part ailleurs. Mais ma situation était très étrange, ce procès en même temps c’était vraiment le dernier endroit, le seul endroit où je pouvais être. J’étais l’avocat, l’ami aussi des personnes qui avaient été tuées. Il y avait une distance pas habituelle pour un avocat, et aussi une singularité dans les yeux autres… C’était unique, j’avais l’impression d’être au cœur de l’affaire. J’ai assumé cette position, c’était étrange…
Pourquoi?
C’est très étrange de se retrouver dans une cour d’assises et de plaider des idées. Mais c’est la seule chose qui m’intéresse. Trouver la source, l’origine du mal. Ces tueurs ne sortaient pas de nulle part.
Vous rappelez-vous l’état dans lequel vous étiez ce matin du 4 décembre 2020, avant de quitter votre domicile pour aller plaider?
J’avais quasiment renoncé. Parce que physiquement et psychologiquement, c’était lourd. Et la veille, j’ai souffert d’une hernie discale. On m’a fait une infiltration, je suis allé à la cour d’assises avec des béquilles. J’ai plaidé pendant une heure et vingt minutes. Dans les minutes qui ont suivi, j’ai trouvé que j’avais été assez catastrophique, j’avais l’impression d’avoir été à côté de la plaque. Mais c’est ma plaidoirie la plus remarquée en trente ans de carrière… J’ai reçu des milliers de messages, j’ai la sensation de la mission accomplie, du travail bien fait. Et, dans les semaines qui ont suivi, je n’ai pas eu le « procès blues« …
Cette plaidoirie qui vient de paraître en livre, vous l’avez écrite? Si oui, en combien de temps?
Mes plaidoiries sont toutes écrites. Pour celle-ci, je dirais que ça a pris trente ans : elle est toute mon histoire! Je l’ai écrite pendant le procès, il y a eu dix versions… Le texte, je l’ai appris par cœur, je l’ai voulu entre le discours et la plaidoirie. J’étais l’avocat de l’idée, de la liberté d’expression. Quand je plaide, je raconte une histoire. Il faut aussi être au plus juste. Pour dire une chose, il peut y avoir dix mots mais il en est un seul qui provoquera une réaction. Ça demande beaucoup de travail.
Le mot « liberté« revient souvent, tant dans votre bouche que dans vos écrits…
En tant qu’avocat, la liberté, c’est ma meilleure cliente! Elle est au cœur de tous mes combats depuis trente ans. C’est un cheminement, une part de hasard qui fait ce que vous êtes. Mais il n’y a pas de liberté d’expression absolue.
Avec un soupçon de provocation, vous avez lancé dans votre plaidoirie la formule « le droit d’emmerder Dieu« . C’est devenu le titre de votre livre. Est-ce à dire qu’en revendiquant ce droit, vous reconnaissez l’existence de Dieu?
J’ai dépassé cette question. On ne lui doit rien. Qu’il existe ou pas, ce n’est pas mon problème. Je suis totalement indifférent… Vous vous revendiquez universaliste… Regarder l’autre avec bienveillance procure beaucoup de satisfaction. Et comme Cicéron, je m’adresse à l’intelligence des gens. Il suffit de parler aux gens avec sincérité. Parfois, on est accueilli avec des réserves, des préjugés, des craintes, mais quand on débat, on ne se bat pas. En fait, c’est juste du bon sens, le vivre ensemble. Et si j’ai un rêve, c’est celui de l’évolution pour l’humanité.
Dans votre plaidoirie lors du « procès Charlie« , vous avez repris une métaphore de Winston Churchill, celle du crocodile que nous nourrissons et qui, à la fin, nous dévore… Une métaphore que vous reprenez pour évoquer l’islamisme et le terrorisme…
Le crocodile est toujours très gourmand, il est loin d’être rassasié. La solution est de ne pas le nourrir. Sciemment ou inconsciemment…
Vous égrenez aussi une liste de nombre de responsables politiques qui, tous, ont fait preuve d’une « complicité passive« … Vous êtes impitoyable!
À ce jour, je n’ai reçu aucune plainte en diffamation. Tous les politiques que je cite, je rapporte simplement leurs propos. Et aujourd’hui, sur ces sujets d’islamisme et de terrorisme, il y a d’énormes problèmes dans les élites. Peut-être parce que nous n’avons pas réussi pleinement à transmettre nos valeurs.
Un an après le « procès Charlie« , vous faites montre d’un certain optimisme pour les lendemains…
Les résistances sont fortes. Le combat n’est pas perdu. Oui, j’essaie d’être optimiste même si nous sommes dans une situation pas loin du bord du précipice, et qu’il suffirait de presque rien pour y tomber…
Le Droit d’emmerder Dieu,
de Richard Malka.
Si j’ai un rêve, c’est celui de l’évolution pour l’humanité
Mes plaidoiries sont toutes écrites. Pour celle-ci, je dirais que ça a pris trente ans : elle est toute mon histoire!