Voilà un album d’une telle délicatesse et d’une telle humilité qu’il est resté discrètement sous le feu des radars. D’abord, il y a cette pochette, trompeuse. En la regardant de près, on pense à un énième trésor de la folk des années 70, si bien enfoui que personne n’en aurait jamais entendu parler. Dessus, il y a ce garçon, un peu perdu dans ses pensées, au style à la Nick Drake, lui aussi semblant émerger d’un temps lointain et vaporeux.
S’il est bien anglais – il est né dans l’Essex (comté au nord-est de Londres) – Spencer Cullum, 38 ans, est installé depuis quelque temps déjà à Nashville, Tennessee (États-Unis). Là-bas, il s’est fait un nom et s’amuse aujourd’hui en studio aux côtés de Jonathan Wilson, Dolly Parton et de la pop star Kesha. Pour cause, il est devenu l’une des références mondiales de la «pedal steel», dont il a appris le maniement auprès de la pointure B. J. Cole.
Une star anonyme, cachée à l’ombre de la scène (souvent à côté du batteur), qui a décidé cette année de prendre un peu la lumière avec ce premier disque à son nom : Spencer Cullum’s Coin Collection. Déjà parce que la vie de musicien de session est réglée… comme du papier à musique! Ensuite parce qu’en retombant sur d’anciens disques qu’il écoutait adolescent, il a ravivé de vieux souvenirs : ceux d’une enfance passée dans des contrées verdoyantes, accompagnée d’une musique justement libre, affranchie et résolument expérimentale.
Cet album est donc en quelque sorte un hommage à d’illustres légendes : Kevin Ayers, Robert Wyatt (Soft Machine), Fairport Convention, John Martyn et bien d’autres, les mêmes qui, il y a plus d’un demi-siècle en arrière, réinventaient la grammaire de la folk en lui injectant une bonne dose de psychédélisme et d’audace. Inventer ses propres règles et s’échapper, un temps, de la machinerie bien huilée «made in USA» : voilà les intentions de Spencer Cullum qui, avouons-le, dépasse là le simple affranchissement personnel.
On connaissait déjà le talent du musicien pour ressortir des nimbes des sons d’antan, comme il le fait régulièrement au sein de Steelism (duo instrumental qu’il forme avec Jeremy Fetzer, influencé par Ennio Morricone et Dick Dale). Mais plus qu’une célébration trop visible et évidente, il met dans ce Coin Collection suffisamment de sensibilité, de naïveté, d’honnêteté et de cœur pour que l’illusion soit parfaite. Le résultat? Neuf morceaux de folk anglais enregistrés avec des musiciens de Nashville, qui sort l’artillerie de circonstance.
Un témoignage aux émotions non feintes et aux subtilités instrumentales
On remonte donc le temps en douceur, un peu comme dans un rêve, accompagné de chants d’oiseaux, de voix et chœurs aériens, de saxophone, de clarinette et de plein d’autres arguments gracieux. Entouré d’une belle brochette de musiciens (dont David Herman Dune), de chanteuses (la country-girl Caitlin Rose, Erin Rae, Annie Williams) et du producteur Jeremy Ferguson, Spencer Cullum ne fait pas semblant dans son témoignage, aux émotions non feintes et aux subtilités instrumentales.
Avec lui, dans une vadrouille clairement bucolique et enchanteresse, on passe du folk à l’ancienne aux errances psychédéliques à la Pink Floyd (Tomber en Morceaux), avec même une embardée osée – mais réussie – par l’Allemagne, terre du krautrock (Dieterich Buxtehude). La patine est certes «vintage», mais l’offrande dépasse le simple exercice de style, car le puzzle est parfait. Tout est à sa place, pertinent, comme une évidence. Non, une telle beauté ne pouvait décidément pas rester confidentielle.
Grégory Cimatti
Spencer Cullum
Spencer Cullum’s Coin Collection
Sorti le 24 septembre
Label Full Time Hobby
Genre folk