Semiray Ahmedova, la présidente de la commission du Logement, estime qu’il faut miser sur le savoir-faire du secteur privé pour accélérer la lutte contre la pénurie d’habitations à prix abordable. «Ceux qui peuvent construire doivent le faire», souligne la jeune députée de déi gréng.
Elle parle ouvertement de «crise du logement». Semiray Ahmedova, qui siège depuis deux ans à peine à la Chambre des députés, livre son analyse d’un marché et d’un secteur qu’elle connaissait déjà comme architecte et urbaniste. «On ne peut pas nier que le logement a très longtemps été considéré comme un dossier mineur à la Chambre», constate la présidente de la commission du Logement, qui se dit décidée à maintenir la «dynamique» qui serait aujourd’hui de mise.
Vous siégez depuis un peu plus de deux ans à la Chambre, où vous êtes arrivée sans expérience politique. Peut-on affirmer aujourd’hui que vous avez réussi à trouver vos marques ?
Je me suis familiarisée avec les rouages de la Chambre, même si cela a pris du temps. Cela a été compliqué de se retrouver du jour au lendemain dans un environnement que l’on ne connaît pas du tout. La pandémie n’a pas rendu les choses simples. Je venais à peine d’arriver lorsque le coronavirus a frappé le pays. Tout s’est encore accéléré. Le nombre de réunions a augmenté de 60%. On s’est retrouvé dans une situation de crise. Une crise qui n’est toujours pas derrière nous.
Avec le logement, le Luxembourg reste confronté à une autre crise majeure. Quel a été l’impact de la pandémie sur les débats et les travaux dans cet épineux dossier ?
En pleine pandémie, nous avons adopté des textes de loi visant à offrir plus de sécurité aux locataires. Le gel des loyers et l’interdiction des déguerpissements font partie des mesures prises. En parallèle, les travaux sur la crise du logement proprement dite se sont poursuivis. Nous nous attaquons à l’ensemble des lois ayant trait au logement afin de trouver une réponse à la pénurie existante.
Au vu du contexte de crise, hériter de la commission du Logement n’a certainement pas été évident. Avez-vous délibérément choisi ce ressort ?
Oui et non. Le poste s’est libéré à la suite du départ d’Henri Kox pour le gouvernement. Mais, en fin de compte, je suis très contente de pouvoir présider cette commission. Je travaille sur une thématique qui correspond à ma formation et à mes 12 années d’expérience professionnelle acquise dans l’architecture, où j’ai travaillé avec des promoteurs, dans l’aménagement du territoire, dans le conseil énergétique ou encore dans l’urbanisme.
Est-ce que vous pouvez déjà comparer le rayon d’action que l’on a en tant que députée à celui d’une spécialiste du logement dans le privé ? Quel poste génère plus de satisfactions ou de frustrations ?
J’ai travaillé dans les secteurs aussi bien privé que public. Aujourd’hui, je me retrouve de l’autre côté de la barrière. Je sais très bien où ça coince. Et même si mon pouvoir politique est limité, il existe du potentiel d’amélioration.
Et ça coince où ?
Les procédures pour établir les plans d’aménagement généraux (PAG) et les plans d’aménagement particuliers (PAP) restent trop lourdes. On ne cesse de parler de simplification administrative, or il existe des PAP qui se retrouvent depuis 10 ou 15 ans au point mort, et ce, en plein milieu d’une crise du logement. Il faut vraiment relancer cette simplification des procédures. Néanmoins, ces formalités ont leur raison d’être, par exemple pour protéger les habitations contre les inondations. Cela ne doit pas empêcher de raccourcir certaines démarches. Car ce ne sont pas uniquement les administrations qui bloquent, mais aussi les citoyens. Il faut pouvoir trouver une solution après avoir obtenu une réponse plausible d’un ministère ou d’une commune, sans multiplier les recours.
Pourquoi ne pas fusionner Logement, Aménagement du territoire et Intérieur ?
On reproche toutefois souvent à la ministre de l’Environnement de freiner le ministre du Logement, tous deux issus des rangs de votre parti déi gréng. Ce bras de fer est-il réel ?
Je maintiens que certaines procédures environnementales sont une nécessité. Nous sommes confrontés à la fois à une crise du logement et une crise du climat. La ministre Dieschbourg a donc un rôle important à jouer. Mais même si cela peut paraître naïf, il faudrait peut-être revoir la composition des ministères après les législatives de 2023. Pourquoi ne pourrait-on pas fusionner Logement, Aménagement du territoire et Environnement, auxquels pourrait encore venir s’ajouter l’Intérieur? Il s’agit des ressorts qui doivent tirer sur la même corde pour faire avancer la création de logements.
Lors d’une récente table ronde, le laboratoire d’idées Idea a clamé que la politique du logement menée par le Luxembourg était un succès. Pouvez-vous partager cet avis ?
J’ai participé à cette table ronde et je dois dire que cela était surtout de la provocation. Mais cela a bien fonctionné. On ne peut cependant pas nier que le logement a très longtemps été considéré comme un dossier mineur à la Chambre. Des collègues plus chevronnés me le confirment. Le gouvernement en place a enfin reconnu le problème comme étant prioritaire. La cadence des réunions de la commission du Logement a clairement augmenté. On se retrouve dans une réelle dynamique.
Idea a notamment fondé son constat sur le fait que quelque 70% des résidents sont propriétaires de leur logement. La crise du logement ne concerne-t-elle donc que les 30% restants ?
Il ne faut pas oublier qu’un propriétaire acquiert souvent deux, trois ou quatre biens immobiliers. Une politique doit être faite dans l’intérêt de tous. Il ne faut donc pas exclure ceux qui se portent bien, mais bien développer une pensée prioritaire pour les gens qui se trouvent en grande difficulté. Et puis, il faut rappeler que pendant de longues années, il était possible d’acquérir un logement social et de le revendre plus tard avec une énorme plus-value sur le marché privé. D’où notre nouvelle approche de miser de manière renforcée sur du logement abordable qui doit rester entre les mains de l’État ou des communes.
On reproche souvent au gouvernement en place de ne pas pouvoir définir ce qu’est un logement social ou abordable. Avez-vous une définition à nous donner ?
Une réforme de la loi de 1979 portant sur l’aide à la pierre et l’aide individuelle est sur le point d’être finalisée. Ce texte va définir ce qu’est un logement abordable. Le loyer ne sera plus fixé de manière forfaitaire. Des seuils seront définis en fonction du revenu et de la situation familiale des personnes qui sont à la recherche d’un logement. Le loyer sera compris dans une fourchette comprise entre 10 et 30% du revenu mensuel.
Les propriétaires à la tête d’un parc immobilier de taille ne sont pas exempts de tout reproche en ce qui concerne la flambée des prix du logement. Est-ce que la taxe à venir sur la spéculation pourra vraiment inverser la vapeur ?
Le Premier ministre a été très clair dans sa déclaration sur l’état de la Nation. Nous saluons bien entendu cette mesure. La taxe devra cependant être introduite de manière intelligente. Elle ne doit pas pénaliser les propriétaires qui gardent un terrain pour leurs enfants. Pour les autres, il faut, selon moi, miser sur des incitatifs afin de motiver les propriétaires à viabiliser leurs terrains. On ne parle pas forcément de vente, mais d’une mise à disposition du terrain. L’emphytéose est une option, mais elle doit porter sur un minimum de 49 ans. C’est beaucoup trop long. Mieux vaut signer une convention avec un promoteur ou un autre acteur public pour réaliser un projet de gestion locative sociale. Au bout d’un délai fixé d’un commun accord, le propriétaire aura la garantie que son terrain lui sera rendu en l’état. Je crois beaucoup au potentiel de cette solution.
Les magnats de l’immobilier réfutent tout reproche de spéculation. Cherchent-ils le contact avec la présidente de la commission du Logement ?
Non, je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer les plus grands promoteurs du pays. J’ai pu lire au travers de la presse leurs réflexions et je pense qu’il serait intéressant de se mettre prochainement autour d’une table afin d’échanger nos points de vue.
Le privé exige aussi d’être plus étroitement impliqué dans la réalisation de logements abordables. Le blocage existant à ce niveau peut-il être levé ?
Lors de récents échanges, la Chambre des métiers a souligné le besoin d’impliquer les promoteurs privés pour anéantir la crise du logement. Je partage ce point de vue et suis favorable à travailler davantage avec le secteur privé. Les promoteurs disposent du savoir-faire et des moyens pour réaliser un projet immobilier de A à Z.
Ne s’agit-il pas d’un désaveu pour les promoteurs publics ?
Il faut redoubler d’efforts pour trouver une réponse à la pénurie de logements abordables. Ceux qui peuvent construire doivent le faire. Personne ne doit être exclu.
Le ministre du Logement partage-t-il votre plaidoyer en faveur des promoteurs privés ?
Oui, le Pacte logement 2.0 appelle les communes à construire davantage de logements. Le ministre Kox a déjà dit que ces projets peuvent être réalisés avec le concours de promoteurs privés dans le cadre de ce nouveau pacte. Le plus important est que l’on construise des logements abordables. On se voit néanmoins aussi confronté à une pénurie de main-d’œuvre, un autre problème qui doit aussi être résolu au plus vite.
Une certaine réticence des communes a cependant pu être décelée au moment du lancement du Pacte logement 2.0, adopté en juillet dernier. Comment a évolué la situation ?
Personnellement, je n’ai jamais ressenti de réticences. Aujourd’hui, 80 des 102 communes du pays ont déjà signé le nouveau Pacte logement. Grâce à mon expérience professionnelle, je sais que ce n’est pas la mauvaise volonté qui empêche les communes de construire davantage de logements. Il s’agit d’une question de ressources humaines. Ce soutien leur est désormais offert dans le cadre du Pacte logement 2.0.
Vous vous êtes déjà exprimée sur le besoin de miser sur de nouvelles formes d’habitation. Le Luxembourgeois est-il vraiment prêt à abandonner l’idéal d’une maison individuelle avec un grand jardin ?
Chacun doit pouvoir vivre comme il le souhaite. Il est toutefois indéniable que la jeune génération ne partage plus forcément cet idéal. Au fil des années, le vivre-ensemble, aussi entre générations, s’est perdu. Une nouvelle forme d’habitation peut être le partage d’un terrain où plusieurs familles ou amis peuvent construire un logement tout en créant des espaces de partage commun. L’habitat intergénérationnel est aussi à soutenir. S’y ajoute l’habitat évolutif. Selon les besoins d’un ménage, la surface habitable peut être agrandie ou diminuée. Ce genre de projets est déjà réalisé en Espagne.
Et qu’en est-il d’une construction en hauteur ?
Une densité accrue doit d’office être reliée à davantage de qualité de vie et des quartiers plus verts et plus animés. Il ne faut pas s’imaginer que construire en hauteur équivaut à recréer des quartiers du type HLM. Il existe aussi un enjeu écologique. En exploitant de manière plus compacte votre terrain, il y aura à la clé aussi moins d’imperméabilisation des sols.
Entretien avec David Marques