Accompagnement des ménages, soutien aux entreprises, initiatives en faveur du logement : pour les économistes de la fondation Idea, des mesures concrètes à impact immédiat sont possibles dès maintenant.
Face au séisme économique provoqué par la pandémie, l’équipe d’experts de la fondation Idea constate d’abord que le Luxembourg s’en est plutôt bien sorti puisque la baisse du PIB attendue s’est finalement limitée à 1,8 % en 2020 au lieu des 6 % estimés et que les recettes de l’État pour 2021 devraient atteindre 18,8 milliards d’euros, soit 13 % de plus que l’an dernier.
Cependant, les économistes attirent l’attention sur plusieurs points de friction. D’abord, si l’emploi semble avoir bien résisté avec la création de 10 000 postes en 2021, soit quasiment le rythme d’avant crise, ils notent que cette croissance a été largement portée par le secteur public et que 7 000 emplois manquent toujours dans les secteurs de l’industrie, du commerce, du transport ou de l’Horeca, qui sont à la peine.
Budget : que valent les projections?
Selon la fondation Idea, le gouvernement aurait tendance à sous-estimer ce qui rentre dans ses caisses : «On a constaté qu’après trois projets de budget dans lesquels les recettes avaient été surestimées d’environ 2 % (2014 à 2016), dans les deux suivants (2017 et 2018) on était face à une énorme sous-estimation», note Muriel Bouchet, avec une différence allant jusqu’à 6,5 % entre ce qui était attendu et les recettes effectives, alors même que la croissance avait été correctement anticipée. «Clairement, on a été trop prudents ces dernières années», tranche ainsi l’économiste.
Ensuite, si le grand plongeon dans la précarité a été évité grâce aux aides de l’État – 1 431 millions d’euros aux ménages et 336 aux entreprises – le taux de pauvreté reste élevé et certaines populations, comme les familles monoparentales, sont particulièrement menacées.
«Soutenir les 44 000 familles monoparentales»
Ce sont ces ménages, 44 000 au Luxembourg, qui font l’objet de la première proposition d’amendement sur les neuf remis la semaine dernière au rapporteur du projet de budget, le député Dan Biancalana : «Nous préconisons pour ces familles qui sont, de loin, les plus exposées au risque de pauvreté, l’attribution automatique du crédit d’impôt monoparental, sans condition de ressources et plaidons pour sa revalorisation», lance Narimène Dahmani.
La jeune économiste y voit un moyen efficace et rapide d’aider ces foyers en attendant une prochaine réforme fiscale qui pourrait les faire passer en classe 2, comme les autres familles.
Du côté des entreprises, qui vont devoir fournir d’importants efforts ces prochaines années pour répondre aux ambitions du plan climat, la fondation Idea préconise d’élargir le spectre des coûts couverts par le mécanisme d’amortissement spécial pour les investissements réalisés dans l’intérêt de l’environnement et de le réviser à la hausse.
Mais surtout, les experts identifient un formidable levier pour booster la start-up nation nationale : les 2 milliards d’euros de surplus d’épargne des ménages dû à la crise sanitaire. «Alors qu’au Luxembourg il manque une vraie mesure fiscale incitative pour les apporteurs de fonds propres, comme il en existe chez nos voisins, c’est le bon moment pour amener les particuliers à investir dans les entreprises», estime Vincent Hein. Avec l’avantage de concurrencer au passage l’investissement dans l’immobilier.
«Réactiver la lutte contre la vacance»
Sur le logement, alors que les prix de l’immobilier ont augmenté de 60 % depuis 2014, les économistes s’accordent sur le fait qu’on ne peut pas taxer le gouvernement d’immobilisme, vu les multiples mesures adoptées ces dernières années. Toutefois, leurs effets ne se feront sentir qu’à long terme, ils ont donc planché sur des mesures à impact immédiat :
«Réactiver la lutte contre la vacance, en durcissant les sanctions financières contre les propriétaires qui ne déclareraient pas leurs biens non occupés, est une piste», juge Muriel Bouchet. «Les communes disposent déjà du pouvoir d’imposer cette déclaration, mais les amendes en cas d’infraction sont comprises entre 1 et 250 euros. Une somme assez symbolique», ironise l’économiste, alors qu’avant 2015, les sanctions pouvaient aller jusqu’à 25 000 euros.
Ensuite, l’impôt foncier ne pèse que 0,05 % du PIB au Luxembourg alors qu’il atteint 1,2 % du PIB en moyenne dans l’UE et 3 % en France. Certes, le gouvernement en a conscience et a annoncé une prochaine réforme générale de l’impôt foncier, mais en attendant, la fondation incite les communes à faire usage de l’impôt foncier dit «B6» sur les terrains à bâtir à des fins d’habitation, alors que nombre d’entre elles n’activent pas ce levier.
Elle propose aussi la création d’une taxe visant la sous-occupation des logements, à l’image de la «bedroom tax» britannique, et l’utilisation d’une formule mathématique pour chiffrer la base taxable en fonction de diverses caractéristiques du logement.
En ce qui concerne l’avenir, les économistes soulignent l’importance de revaloriser la contribution de l’État à l’Université du Luxembourg, trop peu élevée selon eux. Ils proposent également de mettre en place une Commission des infrastructures pour planifier de manière transparente, voire participative les grands projets en matière d’infrastructures publiques.
Et face au réchauffement climatique et ses effets, ils pointent la nécessité de créer un Fonds des calamités pour garantir des réserves financières mobilisables rapidement en cas de catastrophes naturelles.
Enfin, dans le sillage de cette métropole transfrontalière qui émerge ces dernières années, ils imaginent une structure qui serait dédiée à son développement économique, avec l’objectif de lancer des appels à projets pour cofinancer la mobilité, la formation, ou encore des équipements sociaux, culturels ou environnementaux.
La «curieuse» dotation de l’université
Le projet de loi de budget pluriannuel 2021-2025 prévoit une contribution de l’État à l’université du Luxembourg de 235 millions d’euros (contre 216 dans le budget précédent) soit une progression de 2 % par an – à peine plus que l’inflation.
Un rythme «pour le moins tempéré» selon la fondation Idea, qui constate que «cela va à rebours de l’ambition affichée de miser sur l’économie de la connaissance et la diversification, en faveur d’un écosystème de la santé notamment».
Pour Muriel Bouchet, cette dotation est même plutôt «curieuse» si on tient compte du fait que 57 % des dépenses totales de l’université relèvent en fait de la masse salariale. Avec des inscriptions qui gonflent de 3 % par an et d’ambitieux projets de formation à soutenir, il plaide donc pour un réajustement.
Christelle Brucker
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