La réponse du ministre de l’Économie, Franz Fayot, aux vignerons qui s’offusquent de trouver des vins étrangers dans le pavillon luxembourgeois de Dubai ne risque pas de calmer la situation…
Un Luxembourgeois de la Ville et un Luxembourgeois de la vigne ont-ils la même valeur ? La question est volontairement provocatrice et un poil excessive, mais elle n’est pas complètement idiote non plus. Du moins, le pense-t-on. On pourrait même élargir en se demandant quel regard portent les gens de la haute société citadine luxembourgeoise sur cette vallée mosellane. On parie qu’ils la qualifient de pittoresque et sympathique, dans un grand éclat de rire avec le verre levé bien haut en l’air.
Il faut reconnaître que le Luxembourgeois de la Ville n’a pas grand-chose à voir avec le Luxembourgeois de la vigne. Les mentalités sont très différentes. Dans la Moselle, l’histoire est paysanne et vigneronne et pratiquement tous les locaux ont leur ascendance dans les vignes. Ce n’est pas le monde des affaires ni des négociations. Ici, le verre n’est jamais à moitié rempli : il est soit vide, soit plein. C’est que, face à la nature, on n’a pas le temps de tergiverser. Il n’y a qu’une récolte par an et les décisions doivent être prises sans attendre, sous peine de tout perdre. L’art du compromis à la luxembourgeoise n’est pas une spécialité mosellane.
Cette généralisation est tirée à grands traits, mais entre la Moselle rurale et les bureaux de la capitale, la distance est parfois plus grande que la trentaine de kilomètres et la demi-heure de voiture qui les séparent. Car oui, ici, il est toujours difficile de se passer d’une voiture. Cette tendance à la condescendance, les Mosellans l’ont ressentie à plusieurs reprises récemment. Outre Dubai, il y a eu la claque infligée par Luxair à Vinsmoselle et Bernard-Massard. Tout le monde sait que les compagnies aériennes ont terriblement souffert ces 18 derniers mois. Mais imaginer que ces économies permettront le retour du bilan financier au vert, c’en est presque comique. Ce qui l’est moins, c’est le chantage effectué par le CEO cost-killer Gilles Feidt qui a promis le retour des deux maisons dans les avions si… elles s’alignaient sur le prix du mousseux bas de gamme qui avait pris leur place. Insultant.
Réconciliation sur le Glacis ?
Un deuxième exemple ? Le projet du Centre mosellan, nouveau nom étrange alloué au futur musée du Vin d’Ehnen. On en parle depuis 2005 avec force promesse et, aujourd’hui, comme sœur Anne, on ne voit rien venir. Le nouveau musée se retrouvera au même endroit, dans un ensemble de maisons vigneronnes centenaires et classées dont l’ergonomie est, comment dire, problématique. Ce casse-tête commence sérieusement à horripiler l’architecte François Valentiny. Le projet est d’une complexité folle, il est mal né (on avait oublié les parkings et, un détail, le fait que le terrain de l’extension n’était ni acheté ni à vendre) et l’enveloppe promise frise l’indécence : 4,5 millions d’euros. À l’échelle luxembourgeoise, la somme est ridicule. Elle est révélatrice de l’importance que revêt la promotion de la Moselle, vue de la Ville. Rappelons que, partout dans le monde, l’œnotourisme bat tous les records.
Alors, en expliquant que le groupement d’intérêt économique Luxembourg @ Expo 2020 Dubai avait pris l’initiative d’acheter et d’exporter les 3 600 bouteilles sélectionnées (600 de chaque cépage et 600 de crémant) et qu’«il est faux de dire que le gouvernement ne fait rien pour soutenir les viticulteurs luxembourgeois», Franz Fayot n’a certainement pas cherché à apaiser les tensions venues de l’Est. Les vignerons ne sont pas dénués de bon sens, ils se doutent bien que mettre leurs bouteilles en concurrence directe avec d’autres 40 % moins chères n’est pas le coup marketing du siècle. Non seulement la carte des vins du Schengen Lounge n’est pas heureuse, mais sa justification manque sérieusement d’empathie. Tant pis. Les responsables de Dubai 2020 ont toutefois de la chance : ils n’auront même pas besoin de quitter la capitale pour recoller les morceaux, puisque tous les vignerons du pays seront ce week-end sur le Glacis pour la Fête des Vins et Crémants.
Erxan Nonet
Antoine Clasen : «S’ils trouvent que tout est normal…»
Antoine Clasen est le directeur général de Bernard-Massard et le président de la Fédération des négociants. Son auxerrois du domaine Thill est présent à Dubai. Exception dans le monde viticole luxembourgeois, il est davantage un chef d’entreprise qu’un exploitant agricole (quoiqu’il soit les deux). Mais même en étant le plus urbain des Mosellans, la situation au Schengen Lounge et sa justification ministérielle l’énervent au plus haut point.
Les vins luxembourgeois sont en minorité sur la carte du Schengen Lounge. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Antoine Clasen : Que c’est absurde. Servir des vins étrangers dans le pavillon luxembourgeois, ça va à l’encontre du nation branding. D’ailleurs, il faut aussi savoir qu’il y a de sacrées défaillances au niveau organisationnel : les vins luxembourgeois n’étaient même pas arrivés lors de l’ouverture officielle! Les bouteilles étaient là seulement plusieurs jours plus tard (NDLR : la dégustation qui avait permis la sélection des crus avait eu lieu, elle, le 21 janvier 2020).
Maggy Nagel, la commissaire générale chargée du pavillon, et Franz Fayot, le ministre de l’Économie, expliquent que la gestion du Schengen Lounge a dû être confiée à un exploitant local, Jumeirah Group, qui a le droit de servir les vins qu’il souhaite.
Si ça a vraiment été imposé par l’exploitant et que ce n’est pas la faute des Luxembourgeois, les responsables luxembourgeois doivent réagir en reconnaissant qu’ils regrettent cet état de fait, que c’est une absurdité. Mais s’ils trouvent que tout est normal, alors… ce serait très triste. Bien sûr, cette carte des vins ne va pas nous sauver, ni nous perdre. Mais c’est tellement dommage. Nous nous donnons du mal pour que nos vins soient appréciés et servent l’image de notre pays. Si nos ministres et les personnes haut placées ne s’en rendent pas compte, cela montre qu’ils nous restent encore beaucoup de travail (soupir)…
Franz Fayot rapporte que seuls les pavillons français et italien ne servent que des vins de leur pays.
Il va falloir sérieusement s’interroger sur le principe d’une exposition internationale, alors. Le but est bien de promouvoir son pays, de montrer aux autres ce qu’il sait faire, non ?
Le ministre de l’Économie explique aussi que les vignerons devraient prendre leur présence à Dubai comme une chance de se faire connaître sur un grand marché où ils sont totalement absents. Qu’en pensez-vous ?
Si vous voulez mon avis, je pense qu’on ne vendra jamais de vins luxembourgeois dans le Moyen-Orient. Ce n’est de toute façon pas un marché très intéressant. Même si Dubai est un peu différent parce qu’il y a beaucoup d’étrangers, s’il faut se cacher pour boire un verre…