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Alexandra Huberty : « La femme doit être active, mon quotidien le prouve »


Alexandra Huberty est juge. Elle est présidente de la 4e chambre du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, la seule chambre qui s’occupe des divorces. Au fil des années, la jurisprudence a évolué et aujourd’hui, la femme divorcée risque de se retrouver dans une situation précaire. Explications.

Pour justifier sa politique familiale, le gouvernement a souvent évoqué le cas des familles monoparentales, des femmes divorcées sans emploi qui tombent dans la précarité. Est-ce effectivement ce que vous observez dans votre quotidien ?

Alexandra Huberty : Tout d’abord, il y a deux périodes dans un divorce. Une première pendant et une seconde après que le divorce a été prononcé. Pendant le divorce, le devoir de secours qui existe entre époux est encore applicable. Le mari, dans la mesure du possible, doit encore subvenir aux besoins de sa femme. Après le divorce, l’article 300 du code civil qui concerne la pension alimentaire entre époux prévoit que les conjoints divorcés ne se doivent des aliments que si l’autre se trouve dans le besoin. L’état de besoin est défini par le tribunal de façon objective en prenant comme référence le seuil du revenu minimum garanti, le RMG.

Toute femme divorcée qui ne peut pas, par elle-même, disposer de revenus au moins égaux à ce montant, peut s’attendre à une pension alimentaire maximale de 1 348,18 euros qui est le montant du RMG fixé par l’État pour une ménage composé d’un adulte…

Que se passe-t-il si l’époux ne peut pas payer ce montant ?

C’est l’État qui verse le RMG. Si le conjoint débiteur d’aliments ne peut payer que 150 ou 200 euros par mois, il est condamné à verser ce qu’il peut payer et l’État complète ce montant jusqu’au seuil du RMG. Il y a énormément de dossiers dans lesquels les femmes touchent le RMG après un divorce. Les personnes susceptibles de toucher le RMG ne peuvent pas faire un divorce par consentement mutuel dans lequel elles renonceraient à une pension alimentaire. Elles se retrouvent alors toutes dans une procédure de divorce pour faute, raison pour laquelle notre pourcentage de dossiers où nous trouvons des femmes qui touchent le RMG est énorme, de l’ordre d’au moins un quart.

Ce sont des femmes qui ont arrêté leur carrière pour élever des enfants, des femmes qui n’ont pas de formation. Quel est le profil de ces femmes ?

Nous avons de tout mais la majorité de ces femmes n’ont jamais travaillé ou sortent de couples qui étaient déjà bénéficiaire du RMG du temps de la vie commune.

L’abolition des deux allocations d’éducation et de maternité a-t-elle une influence sur la situation de ces femmes ?

Je dirais que non car le RMG est un complément par rapport au revenu qu’on touche. Les femmes qui touchent l’allocation d’éducation et de maternité auront moins de complément du RMG. Cela ne les avance pas de toucher une allocation d’éducation du moment qu’elles sont bénéficiaires du RMG. Statistiquement, les femmes divorcées ont des enfants âgés de plus de deux ans donc ne sont plus concernées par ces deux allocations. En revanche, on trouve plus d’enfants en bas âge dans les séparations de couples non mariés.

Ces femmes que vous voyez lors des audiences que vous présidez possèdent-elles au moins une formation pour rentrer sur le marché du travail ?

Il faut faire une différence entre les femmes qui ont été éduquées ici et les femmes des pays tiers, essentiellement celles qui viennent des pays de l’Est, du Brésil ou de Cuba dont les intentions sont clairement de venir au Luxembourg et de se marier. J’ai pu constater dans les dossiers que les femmes qui ont été éduquées ici retrouvent assez facilement un emploi.

Si ce sont des femmes d’un certain âge qui ont terminé leur scolarité au niveau de la fin d’études secondaires, elles se replacent assez facilement dans le monde du travail. Ces femmes sont bien épaulées par les services sociaux qui œuvrent pour leur réintégration. Les femmes des pays tiers ont, comme premier handicap, de ne pas, ou mal, maîtriser les langues officielles du pays.

Êtes-vous d’avis que la suppression de ces deux allocations va inciter les femmes à changer de comportement ?

Je ne pense pas qu’aujourd’hui, une femme qui gagne sa vie arrête sa carrière parce qu’elle touche une allocation d’éducation ou de maternité. En revanche, ces allocations n’incitent pas la femme qui n’a jamais travaillé à rechercher un emploi. Et quand, au bout de deux ans, la mère et l’enfant sont habitués à être ensemble, le couple a tendance à perpétuer ce modèle.

Avez-vous le sentiment que le gouvernement impose un modèle familial ?

Je pense que cette politique familiale est déjà imposée actuellement par notre époque. Le temps où on se mariait avec la certitude d’avoir quelqu’un qui vous soutient financièrement jusqu’à la fin de votre vie est révolu depuis bien longtemps. Ce n’est pas la politique qui impose un modèle, c’est la vie. Personne aujourd’hui, le jour de son mariage, ne peut s’attendre à être soutenu financièrement à vie. Le pourcentage de divorces est énorme et il peut intervenir après deux jours d’union ou 45 ans! J’ai un dossier où une femme de 79 ans demande le divorce.

Est-il vrai que certaines femmes, au moment du divorce, s’exilent en France ou en Allemagne afin de bénéficier de la législation de ces pays, plus large en matière de pension alimentaire ?

(Sourire) Je ne pense pas que les femmes vont s’installer en Allemagne, en France ou même en Belgique en partant de l’idée que la législation leur est plus favorable dans ces pays-là. En premier lieu, elles s’y installent parce que les loyers sont moins élevés. Naturellement, si elles s’installent définitivement dans ces pays, c’est la législation de leur nouveau pays de résidence qui s’applique aux obligations alimentaires d’après le Protocole de La Haye actuellement en vigueur.

En France, par exemple, les époux se doivent une prestation compensatoire. Pareille prestation n’existe pas au Luxembourg. Il s’agit du paiement d’un montant forfaitaire en capital pour assurer au conjoint économiquement le plus faible le niveau de vie dont il disposait pendant le mariage. Cette prestation compensatoire tient compte de la durée du mariage. Donc s’installer de l’autre côté de la frontière française est avantageux surtout pour les femmes qui étaient mariées pendant très longtemps, qui ne disposent pas de revenus et dont les maris sont fortunés.

En revanche, en Allemagne, la jurisprudence tend à dire que la femme doit, du moment qu’elle est apte à travailler, subvenir à ses besoins par son emploi. Effectivement, les montants alloués en Allemagne sont supérieurs à ceux attribués au Luxembourg.

Combien de dossiers avez-vous clôturés l’an passé ?

Nous avons eu, l’année passée, 499 dossiers où le divorce pour faute a été prononcé et 740 consentements mutuels. Ce qui est surprenant, ce sont les durées divergentes des unions. Je ne m’attendais pas à avoir autant de dossiers de couples déjà retraités. Et c’est précisément dans ces dossiers-là que la situation devient plus délicate. La femme a droit à une pension alimentaire vu qu’elle n’est plus apte à travailler et là, effectivement, quand le mari dispose d’une toute petite retraite, l’État doit prendre le relais. Mais c’est un modèle de société que l’on ne peut plus se permettre aujourd’hui.

Comment cela ?

Les dossiers que je vois m’incitent chaque jour à penser que la femme doit assurer son indépendance financière pour ne pas courir le risque de tomber un jour dans la précarité. Il est clair, et je peux les comprendre, que certaines femmes, après avoir consacré une grande partie de leur vie à l’éducation des enfants, se montrent abattues quand elles apprennent que cela ne leur donne pas droit à une pension alimentaire parce qu’elles sont aptes à travailler ou alors, tout au plus, à une pension du niveau du RMG alors que le mari aurait les moyens financiers pour verser une pension plus conséquente.

On sent parfois une immense amertume de la femme qui s’est consacrée aussi à son époux durant toutes ces années. Évidemment, en fonction du régime matrimonial qui existait entre époux, ces femmes touchent leur part au niveau du partage. Mais le fait de toucher une pension alimentaire et celui de tomber ou pas dans la précarité dépend souvent de la bonne volonté du mari. Je dois néanmoins reconnaître que de nombreux époux, dans la mesure de leurs moyens, contribuent à éviter ce sort à leur épouse, quand ils le peuvent.

Que conseillez-vous aux femmes qui se présentent devant vous ?

Je ne vois les parties qu’en fin de parcours, avant de se retrouver devant le juge du divorce, elles ont déjà fait du chemin. En début de procédure, les femmes demandent une pension alimentaire au juge des référés. Ce dernier fait le tri entre les femmes qui ont droit à une pension alimentaire pendant la procédure, c’est-à-dire celles qui n’ont pas de revenu et celles qui ont des revenus propres. Les femmes qui n’ont pas de revenu mais qui sont aptes à travailler touchent une pension alimentaire limitée dans le temps. Elles sont ainsi incitées à trouver un emploi déjà à ce stade de la procédure.

Comme je le disais, si elles sont autochtones, elles retrouvent facilement un emploi. Beaucoup d’entre elles, déjà quinquagénaires, ont trouvé des postes dans des services comme « Hëllef doheem » grâce notamment à la maîtrise d’une voire de plusieurs langues du pays. Ainsi, quand elles se retrouvent au stade du prononcé du divorce, elles couvrent déjà elles-mêmes leurs besoins.

Le fait que les femmes soient très bien représentées dans la magistrature a-t-il influé sur la jurisprudence en matière de divorce et surtout de pension alimentaire ?

J’ai bientôt vingt-cinq années de vie professionnelle à mon actif. En 1990, les femmes qui s’occupaient de l’éducation de leurs enfants touchaient, après divorce, des pensions alimentaires plus subséquentes. Comme la loi n’a pas changé entre-temps, le changement est d’origine jurisprudentielle. Il est bien possible que ce changement ait, à son origine, des femmes magistrats qui, tout en étant mères de famille, travaillent pour gagner leur vie. Après tout, ces femmes savaient pertinemment qu’il était tout à fait possible de concilier une vie professionnelle avec une vie familiale.

Entretien avec Geneviève Montaigu

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