La prise de décision administrative concernant les demandes de protection internationale de ressortissants afghans est presque totalement suspendue. Les associations et les principaux concernés ne comprennent pas.
Après une offensive éclair, les talibans ont repris le pouvoir à la mi-août. Vingt ans après. Jusqu’à la fin août, de nombreux pays occidentaux se sont mobilisés pour sortir du pays leurs ressortissants et les Afghans qui ont collaboré à leurs côtés ces dernières années. Le Luxembourg a pris part à ces évacuations via la mobilisation de certains moyens militaires comme l’A400M et en accueillant des ayants droit et leurs proches ou encore une juge afghane et sa famille.
Le 25 août dernier, lors d’une conférence de presse commune avec le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, François Bausch, pour évoquer ces exfiltrations de l’Afghanistan, Jean Asselborn avait rappelé : «Nous ne renvoyons personne en Afghanistan depuis 2015. Les Afghans qui sont ici peuvent rester en trouvant un travail. Cela vaut également pour ceux qui n’ont pas obtenu l’asile.» Le ministre des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile avait également montré une certaine volonté à aider les réfugiés afghans en soulignant que le Luxembourg «fera tout son possible» pour accueillir ces derniers. Le 27 octobre dernier, le LFR (Lëtzebuerger Flüchtlingsrot – Collectif réfugiés) et l’initiative Afghanistan is not safe avait également rappelé dans un communiqué commun que Jean Asselborn avait affirmé, le 7 octobre dernier, lors du forum à haut niveau sur la protection des Afghans à risque organisé par la Commission européenne «que la situation actuelle en Afghanistan exige une « réponse imminente et coordonnée » de la part des partenaires internationaux, rappelant qu’il faut mettre en place des solutions à court terme et à long terme, ainsi que des voies de protection aux plus vulnérables». Mais selon les deux organisations, «ce caractère d’urgence ne s’applique pas au Luxembourg».
«En effet, au Grand-Duché, la prise de décision administrative concernant les demandes de protection internationale des ressortissants afghans est totalement suspendue, fustigent dans leur communiqué le LFR et Afghanistan is not safe. Quant aux affaires en cours devant les juridictions administratives, les juges ont adhéré sans nuance à la démarche du gouvernement et ont accepté de suspendre les procédures au moins jusqu’à janvier 2022.» Une situation jugée inacceptable et incompréhensible par les associations et les demandeurs afghans de protection internationale.
«Une incertitude et une insécurité»
Ce mercredi dans une prise de position, 04 a tout d’abord souligné que la prise de décision administrative concernant les demandes de protection internationale de ressortissants afghans «n’est pas totalement suspendue». Depuis le 15 août 2021, «39 accords pour une protection internationale ont été notifiés dans le chef de ressortissants afghans».
Néanmoins, «en l’absence de sources d’information complètes et fiables, certaines décisions sont gardées en suspens en attendant un éclaircissement de la situation sur le terrain en Afghanistan pour évaluer les besoins de protection internationale des concernés. Il s’agit avant tout de dossiers qui risquent, au stade actuel des informations, d’aboutir sur un refus. Vu le changement de circonstances sur le terrain, certains dossiers sont donc gardés en suspens dans le seul intérêt des concernés pour, d’un côté permettre au ministère d’analyser de manière approfondie chaque dossier au cas par cas afin d’aboutir éventuellement sur une décision positive, et d’un autre côté, et surtout pour permettre aux avocats impliqués de soumettre au ministère de nouveaux éléments en faveur de leur client», explique le ministère des Affaires étrangères et européennes, de l’Immigration et de l’Asile avant d’ajouter et de confirmer que «les juridictions administratives ont effectivement fait leur la position du ministre en prorogeant différents délais».
L’administration attend notamment «une approche européenne commune (qui) est en cours d’élaboration par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO)». «Cette approche qui est attendue par l’ensemble des États membres, permettra d’assurer la convergence du processus décisionnel dans les États membres», estime le ministère.
«Le Luxembourg n’a aucune obligation d’attendre le rapport d’une instance spécifique pour statuer sur des demandes de protection internationale, rappelle Ambre Schulz, la porte-parole du LFR. Les rapports déjà disponibles sont unanimes : la prise du pouvoir et les intentions des talibans constituent une dégradation dramatique de la situation générale. Sans oublier les attentats, notamment de l’État islamique, qui se multiplient ces dernières semaines.»
Cette attente a des répercussions sur les demandeurs afghans de protection internationale. «Cette situation est incompréhensible pour les Afghans qui sont là. Elle les plonge dans une incertitude et dans une insécurité, poursuit Ambre Schultz. Le temps qu’on perd là, cela reporte aussi le droit à demander un regroupement familial. Beaucoup sont inquiets pour leurs proches qui sont encore en Afghanistan.»
Guillaume Chassaing