La députée européenne Isabel Wiseler (PPE), persona non grata en Chine, malmenée en Hongrie, ne cessera jamais de dénoncer les violations de l’État de droit ni de dialoguer. Si elle salue le travail de la Commission, elle se lasse de l’inaction du Conseil.
Lors d’une récente mission en Hongrie, la députée européenne du CSV Isabel Wiseler a été confrontée de près à un régime autoritaire et à ses médias soumis. Elle lance un appel à la vigilance et souligne que c’est l’affaire de tous de défendre les valeurs européennes et de refuser l’intolérance.
Vous avez dit que trop souvent sous couvert de « démocratie“, la démocratie se montre faible, et qu’il était du devoir de la démocratie de se défendre. Comment?
Isabel Wiseler : Quand j’étais très jeune, je mettais la tolérance au-dessus de tout dans l’échelle de mes valeurs. Jeune professeure, je me souviens avoir répété à mes élèves que la tolérance caractérisait la démocratie. Aujourd’hui, avec l’expérience, j’ajoute : la tolérance s’arrête là où la tolérance est en danger. Nous ne pouvons pas accepter tous les discours sous couvert de liberté d’expression. Nous le savons d’ailleurs, puisque les discours racistes, par exemple, sont condamnés. Nous devons défendre nos valeurs et refuser l’intolérance. La compréhension des autres ne doit pas nous empêcher de défendre nos valeurs.
Ces discours qui ont permis à des gouvernements hongrois ou polonais d’être démocratiquement élus…
Ce sont les exemples qui illustrent justement mon propos. Nous ne pouvons pas accepter sous couvert d’élections démocratiques que des choses soient décidées par ces gouvernements élus qui vont à l’encontre de la démocratie. C’est ça le problème. La démocratie se fonde sur la majorité, mais elle doit aussi défendre les minorités.
Je me rends compte qu’il est important, voire essentiel de protéger l’information
Selon vos propos, toujours, les réseaux sociaux qui permettent une propagande souvent nauséabonde doivent être limités et vous proposez aux politiques de légiférer. C’est compliqué non?
Je ne suis pas à même de donner des solutions techniques, mais je me rends compte qu’il est important, voire essentiel de protéger l’information. Aujourd’hui, je ne sais plus comment les journalistes arrivent à faire leur travail tellement la désinformation a pris de la place à côté de l’information. La presse est vraiment mise à mal. Nous avons des journalistes en Europe qui sont assassinés pour ce qu’ils font. Avec les réseaux sociaux ce n’est vraiment pas facile. Dans les pays autoritaires, c’est aussi un moyen pour les citoyens de pouvoir s’exprimer. Des jeunes Turcs, par exemple, sont affolés par l’idée que l’on pourrait supprimer les comptes anonymes qui leur permettent de s’exprimer autrement. Il faut toujours faire la part des choses. Je ne veux pas dire « y a qu’à » car je sais que c’est compliqué parce que nous sommes confrontés à la nécessité de solutions différentes selon qu’elles s’adressent à des régimes démocratiques ou à des régimes autoritaires.
Comment jugez-vous l’attitude de la Commission et celle du Conseil à l’égard de ces pays qui violent les valeurs européennes et les Traités?
Cette Commission fait quand même un bon boulot et je sais que tout le monde ne partage pas mon opinion. Nous avons des problèmes avec le Conseil en revanche. Au niveau de la Commission, nous avons le rapport pays par pays sur l’État de droit qui a le mérite d’exister même s’il n’est pas parfait. Ce qui est aussi important, c’est de faire la différence entre des problèmes isolés d’État de droit, pointés dans chaque pays et les difficultés systémiques qui sont relevées dans des pays comme la Hongrie qui se permet, alors, sur des points de détail de nous dire de faire le ménage chez nous. Le Conseil met du temps à réagir encore aujourd’hui alors qu’il faut prendre ces problèmes à bras-le-corps dès le début. Si d’autres pays, aux tendances similaires, voient que ça passe chez l’un, ils vont faire de même. La Commission a fait le nécessaire pour que des condamnations soient prononcées et d’ailleurs la Cour de justice de l’Union européenne vient de condamner la Pologne à payer un million d’euros par jour jusqu’à ce qu’elle abolisse la cour disciplinaire qui bafoue l’indépendance de la justice, c’est très important. La Commission n’a pas non plus validé les plans de relance des pays qui ne respectent pas l’État de droit. Ce sont quand même des actions significatives. Malheureusement, nous avons des problèmes au niveau du Conseil. Personnellement, j’ai aussi de l’espoir avec la présidence française et j’espère ne pas être déçue.
Vous évoquez les régimes autoritaires qui ont la mainmise sur les médias, mais en France, justement, c’est un puissant groupe privé qui s’acharne à mettre en place le presque candidat Éric Zemmour, à la droite de l’extrême droite…
Il ne faut pas censurer, mais défendre l’information, il faut trouver cet équilibre précaire entre les deux. Je trouve important aussi que le discours politique des partis dits classiques ne s’égare pas et n’entre pas dans le jeu des partis extrémistes – à aucun moment. À une question que je lui posais, la présidente de la Commission m’avait répondu un jour qu’il ne fallait pas tomber dans le piège de cette langue simpliste et populiste qui justifie des choses qui ne sont pas justifiables.
Après que l’UE a adopté des sanctions à l’encontre de responsables chinois pour leur implication dans des violations des droits de l’homme à l’encontre de la minorité musulmane ouïghoure, la Chine a prononcé des mesures de rétorsion contre des députés européens dont vous faites partie pour avoir « gravement nui à la souveraineté et aux intérêts chinois, en diffusant avec malveillance des mensonges et des fausses informations ». C’est un dialogue de sourds?
Il y a un état des faits que je ne vais pas arrêter de dénoncer, à aucun moment. Mais on ne doit jamais non plus céder à l’hypocrisie et il faut rester le plus intègre possible. Nous avons des relations économiques avec la Chine, c’est une réalité. L’accord global UE-Chine sur les investissements est gelé pour le moment alors qu’il présente un réel avantage pour les Européens. Mais bien évidemment, nous ne pouvons accepter cet accord tant que les Chinois n’ont pas levé les sanctions contre les députés européens et qu’ils n’ont pas signé, au moins, les conventions contre le travail forcé. Je sais aussi que ce qui est signé n’est pas toujours respecté, c’est le propre des régimes autoritaires. En revanche, nous avons des leviers comme, par exemple, décider que les produits issus du travail forcé ne seront plus vendus en Europe. Les Chinois se retrouvent alors devant une situation qui devient difficile pour eux. Si nous arrivons à convaincre les Américains d’en faire autant alors les choses évolueront sûrement.
De la Russie, vous dites qu’elle « s’efforce d’influencer, d’interférer et de déstabiliser l’Union et ses États membres, ainsi que (ses) pays partenaires ». Là aussi, il faut poursuivre le dialogue, malgré tout?
Il ne faut jamais cesser de dialoguer même avec les pires interlocuteurs. Même en Afghanistan, même ailleurs avec des factions terroristes qui prennent le pouvoir. Quand je vois le travail que réalise l’Institut européen pour la paix, je m’incline, car ce sont eux qui travaillent à ce niveau-là. Cet institut mobilise, depuis son lancement en 2014, les capacités européennes en matière de médiation pour prévenir et résoudre des conflits en soutien aux instruments dont dispose l’Union européenne.
Quand l’UE prononce des sanctions, comme ce fut le cas contre le Bélarus après son détournement d’avion surréaliste, les réponses sont parfois dramatiques…
Aller chercher des gens en Irak et les faire transiter par Minsk pour les « déverser » dans l’Union européenne, cela me désespère de voir cela. Le gouvernement biélorusse utilise les êtres humains comme du matériel pour se venger des sanctions de l’UE. Parfois, je dois le reconnaître, on a la flemme quand on voit de quoi les régimes autoritaires sont capables et les hommes en général, d’ailleurs, en cas de conflit. Il suffit de penser aux violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. En ce qui concerne le Bélarus, le Parlement européen reçoit Svetlana Tikhanovskaïa, l’opposante de Loukachenko, mais sans la reconnaître formellement comme présidente. Ce que nous souhaiterions, ce sont des nouvelles élections. Nous ne voulons pas répéter la même erreur que nous avons faite avec Juan Guaido, reconnu comme président légitime du Venezuela par l’Union européenne qui l’a finalement lâché à la fin de son mandat parlementaire.
Craignez-vous l’arrivée au pouvoir d’autres régimes autoritaires en Europe?
Nous avons parlé de la Russie, mais pas de la Turquie. Il ne faut pas sous-estimer l’aspect psychologique lorsque l’on parle de ces régimes autoritaires et de ces chefs d’État quelque part charismatiques comme Orban, Poutine ou Erdogan. Il faut surtout faire attention et être conscient que nous devons nous défendre par rapport à des personnages de ce type. Ce qui compte, c’est qu’ils voient en face d’eux une vraie force capable de se défendre. Pour moi, personnellement, il faut avoir à l’esprit qu’un Erdogan ou un Poutine, même s’ils ne sont pas très proches, peuvent à tout moment s’allier. Ils n’ont pas de scrupules et ne partagent pas nos valeurs. Nous devons vraiment être vigilants. Et comme l’écrivait si justement Albert Camus, le bacille de la peste ne meurt jamais.
Pour terminer sur une touche plus positive, vous avez assisté à la deuxième plénière de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Qu’en avez-vous pensé?
Ce qui est très réconfortant, c’est de voir les jeunes ambassadeurs européens dans les lycées. J’ai pu, dans le cadre de la Conférence, discuter avec de jeunes Luxembourgeois, Portugais et Autrichiens et c’était formidable. Ces jeunes ont une finesse d’analyse exceptionnelle et ils ne sont pas dupes. Ils savent argumenter et tenir tête même à des députés chevronnés d’extrême droite. Quand j’entends ces jeunes, je vois qu’il y a une relève pour défendre les valeurs européennes et je suis optimiste.
Entretien réalisé par Geneviève Montaigu