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Assassinat de Samuel Paty : un an d’enquête et les complicités en débat


Ce drame avait bouleversé de nombreux Français et relancer le débat sur la liberté d'expression. (Photo by Anne-Christine POUJOULAT / AFP)

Qui savait ? Et exactement quoi ? Un an après l’assassinat de Samuel Paty, les juges antiterroristes tentent de mesurer l’étendue de la connaissance du projet d’Abdoullakh Anzorov par chacune des quinze personnes mises en examen.

Le 16 octobre 2020 en fin d’après-midi, le professeur d’histoire-géographie est poignardé puis décapité près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) par ce jeune réfugié tchétchène radicalisé, tué peu de temps après par la police.

L’enquête a rapidement retracé les étapes de l’engrenage fatal.

Il se met en marche lorsqu’une collégienne rapporte à ses parents que Samuel Paty a montré des caricatures du prophète Mahomet lors d’un cours début octobre sur la laïcité. Elle l’accuse d’avoir demandé aux collégiens musulmans de se signaler.

Sur la base du témoignage de sa fille, par ailleurs menacée d’expulsion pour indiscipline, son père Brahim Chnina lance une virulente campagne sur les réseaux sociaux. Soutenu par un militant islamiste, Abdelhakim Sefrioui, il porte plainte contre l’enseignant pour diffusion d’image pornographique.

Informé de leur campagne, Abdoullakh Anzorov, 18 ans, se rend le 16 octobre devant le collège. Il y rencontre des élèves qui, contre de l’argent, lui permettent d’identifier le professeur de 47 ans, qu’il tue avant d’être abattu.

Dans un message audio en russe, il a revendiqué son geste en se félicitant d’avoir « vengé le prophète » à ses yeux insulté par M. Paty.

Mensonges

Au fil de leurs investigations, les policiers ont établi quatre cercles de suspects.

D’abord celui des soutiens matériels d’Abdoullakh Anzorov. Deux de ses connaissances de sa ville d’Evreux, Naïm B. et Azim E., ont été mis en examen pour « complicité d’assassinat » terroriste pour l’avoir accompagné acheter un couteau et des pistolets à billes. Le second l’a en outre conduit d’Evreux jusqu’au collège.

« C’est la complicité matérielle la plus évidente », note une partie civile. Mais Me Hiba Rizkallah, avocate de Naïm B., évoque plutôt le « manque de clairvoyance » de son client : « peut-on lui reprocher de ne pas avoir lu dans l’esprit » du tueur pour déceler son projet ?

Deuxième cercle de complicité, les collégiens. Cinq d’entre eux, âgés de 13 à 15 ans lors des faits, sont soupçonnés d’avoir désigné le professeur à son meurtrier. Poursuivis pour « complicité d’assassinat » terroriste, ils ont été placés sous contrôle judiciaire.

La fille de M. Chnina a, elle, été mise en examen pour « dénonciation calomnieuse ». Elle a reconnu avoir menti sur sa présence au fameux cours sur la laïcité de M. Paty.

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Autre série de suspects, ceux qui sont soupçonnés d’avoir encouragé Abdoullakh Anzorov dans ses projets d’attaque, même sans en connaître les détails précis.

Un Russe d’origine tchétchène et un Français de 18 ans, ainsi qu’une adolescente de 17 ans, ont été mis en examen début novembre 2020. Selon une source proche du dossier, leur cas pourrait à terme être séparé du reste du dossier.

Fin juin, une femme de 33 ans interpellée à Nîmes a été mise en examen pour « association de malfaiteurs terroriste » et placée sous contrôle judiciaire. Elle est soupçonnée d’avoir été en contact avec l’assaillant avant l’attaque et, selon une source proche du dossier, de lui avoir transféré la vidéo de Brahim Chnina.

« Appel à la sanction »

Un dernier groupe de complicités a concentré l’attention des médias. Parmi ces « influenceurs », Brahim Chnina est poursuivi pour les vidéos où il dénonce Samuel Paty et pour avoir eu des contacts avec le tueur.

« Dans ce dossier, on ne fait plus du droit », regrette son avocat, Nabil El Ouchikli. « Une mise en examen pour complicité revient à consacrer l’aide par ignorance totale, en contradiction même avec le principe de la complicité qui est un acte volontaire ».

A Abdelhakim Sefrioui, les jugent reprochent une autre vidéo diffusée avant le drame. Son camp conteste qu’Abdoullakh Anzorov l’ait vue.

Selon des connaisseurs du dossier, l’infraction de complicité d’assassinat terroriste, notamment pour M. Sefrioui, nourrit un débat « compliqué » au sein de l’institution judiciaire. « Il y a peu de dossiers où l’on a autant interprété le texte », note l’un d’eux.

« La qualification de complicité a fait long feu, il faut maintenant que la justice en tire les conséquences sur la détention provisoire », estime Me Elise Arfi, qui défend M. Sefrioui.

La cour d’appel de Paris en juin puis la Cour de cassation le mois dernier ont validé les poursuites du militant islamiste.

« Toute l’institution judiciaire considère que cette vidéo est un acte de complicité », balaie Virginie Le Roy, avocate de la famille de Samuel Paty. « Elle donne une dimension religieuse, politique et nationale à l’incident. C’est un appel à la sanction ».

L’enquête se poursuit : des investigations sont en cours pour décrypter certains messages entre protagonistes et des confrontations sont attendues dans les prochains mois.

AFP