Les yeux rivés sur les écrans, de petits investisseurs pékinois ayant investi leurs économies en Bourse jaugent leurs lourdes pertes avec résignation – mais certains se raccrochent toujours à l’espoir que Pékin finira par intervenir pour stopper la débâcle et faire remonter les cours.
« Les dirigeants nationaux se soucient du peuple, comment pourraient-ils nous regarder perdre tout notre argent sans réagir? », s’interroge Ni Dongxia, ouvrier à la retraite de 72 ans, en examinant le déferlement de couleur verte autour de lui. Partout sur les écrans accrochés aux murs, des chiffres en vert clignotent sur les colonnes listant les titres cotés.
Une mauvaise nouvelle pour les boursicoteurs venus suivre la séance dans cette salle de courtage du centre de Pékin: en Chine, le vert signale les cours qui plongent, tandis que le rouge -jugé de bon augure- est la couleur des hausses. Or la Bourse de Shanghai s’est effondrée lundi de 8,49% (entraînant le plongeon des Bourses européennes et de Wall Street), sa plus forte baisse journalière depuis huit ans. Après deux mois de débâcle, elle a désormais effacé ses gains de l’année, tombant sous son niveau du 31 décembre 2014.
M. Ni a investi plus de la moitié de ses économies sur les Bourses de Shanghai et Shenzhen. « Le gouvernement ne permettra jamais que les marchés s’enfoncent trop bas, ils vont agir pour les faire remonter », se persuade-t-il. Assis autour de lui, d’autres investisseurs –pour beaucoup des retraités– boivent à petites gorgées le thé de leurs thermos, et se lèvent par moments pour consulter un ordinateur et effectuer une transaction.
Sur les 90 millions d’investisseurs des Bourses chinoises, la quasi-totalité sont des particuliers et petits porteurs –à l’inverse des pays occidentaux, où dominent les investisseurs institutionnels. « Au début, je boursicotais pour m’amuser, pour tromper mon ennui, passer le temps », raconte Ni Dongxia. Il ne comprend « pas grand chose » au fonctionnement des marchés et investissait principalement sur les titres des groupes étatiques qui « faisaient les gros titres des journaux ». « Mais à présent, je me dis que je n’aurais peut-être pas dû placer autant d’argent », admet-il.
Pourtant, les Bourses apparaissaient depuis l’an dernier comme dépourvues de risques, un eldorado où l’on gagnait (gros) à tous les coups. Suite à la chute du marché immobilier chinois, après des années de surchauffe, le gouvernement a encouragé activement les ménages à se tourner vers la Bourse… et à financer ainsi l’essor du secteur privé. Motivés par ces encouragements répétés, nombre de particuliers chinois -d’habitude très prudents- ont commencé à acheter des actions, la plupart s’endettant même pour investir.
Résultat: la Bourse de Shanghai s’est envolée de 150% en l’espace d’un an… de façon totalement déconnectée de l’économie réelle. Une situation intenable: elle s’est finalement effondrée de 30% en trois semaines à partir de mi-juin.
« Je pense qu’il n’y a aucun espoir. Même si la Bourse rebondit, ce ne sera qu’un sursaut temporaire, elle retombera juste après », soupire Lu Zhongjie, une employée de bureau. « J’aimerai vendre toutes mes actions, mais je n’ai même pas d’opportunité pour m’en débarrasser », raconte-t-elle à l’AFP. La chute des titres étant limitée à 10% par jour, les ventes sont en effet bloquées une fois atteint ce seuil.
Le gouvernement chinois -soucieux de sa crédibilité- est certes lourdement intervenu depuis fin juin pour enrayer la débâcle, des organismes publics réalisant notamment des achats de titres à grande échelle. Mais sans succès et sans convaincre, les investisseurs continuant de fuir les marchés dans un climat d’affolement général.
Pékin a annoncé dimanche que le gigantesque fonds de pension national serait autorisé à investir jusqu’à 30% de ses actifs en Bourse: un signal positif selon Yin Dongqing, femme au foyer d’une trentaine d’années. « Le marché va assurément rebondir, peut-être même demain », veut-elle croire. « Du coup, j’ai acheté aujourd’hui quelques titres de sociétés financières ». Mais d’autres se montrent beaucoup plus pessimistes.
« Je ne ferai jamais confiance à la Bourse », soupire Zhou Aiguo, 67 ans, chauffeur de bus à la retraite. Pour lui, l’immobilier reste le plus sûr des placements. « La Bourse, ce n’est guère mieux que des paris et jeux de hasard », argumente-t-il. « Personne n’aurait l’idée de prendre l’argent dont il a besoin pour vivre et d’aller le jouer au casino ».
Le Quotidien / AFP