On prend le dernier ferry pour le paradis, avec des femmes, qui peuvent se prénommer Claire, des chiens aussi, que l’on appellera Bowie…
On est pris dans un tourbillon à douze temps, un voyage en douze étapes. Une lecture de douze nouvelles regroupées sous un titre simple, Une éclipse. Le deuxième livre de Raphaël Haroche, après Retourner à la mer, prix Goncourt de la nouvelle 2017. En musique, Raphaël était venu à nous au printemps dernier avec Haute Fidélité, son neuvième album grandement habité par le souvenir du chanteur et musicien Christophe, le «beau bizarre» parti après avoir été attrapé par le covid le 16 avril 2020…
Sous son seul prénom ou avec son patronyme entier, Raphaël Haroche veille à s’habiller correctement, «parce que je respecte la rue». Il trimballe une élégance disparue dans ce monde de l’esbroufe, du paraître, de la mythomanie, de la mégalomanie… Chanteur et guitariste inspiré, il refuse les programmes imposés, quitte à être pris pour «un petit con» par des prétendus faiseurs de succès. En 2017, dans la foulée de Retourner à la mer, il confiait : «Ce premier livre, c’est une porte qui s’entrebâille, ça m’a rendu très heureux et j’en suis fier.» Il avouait aussi ne «pas spécialement» penser au lecteur. «J’aime bien les arts populaires, ce qui touche les gens. Et puis, surtout, j’aime bien faire de belles choses…»
Un recueil mêlant joyeusement angoisse, fantastique, obscurité et lumière, une pincée de non-sens en cadeau
De belles choses, en voici : douze textes, soit onze nouvelles et, en conclusion, l’échange qu’un écrivain (né en 1975… comme lui !) a eu avec des pensionnaires d’un hôpital de jour. Fiction ? Autofiction ? Allez savoir… Qu’importe, tout au long des pages, Raphaël Haroche est, en creux, présent. L’écouteur fidèle du boxeur superwelter, du voyage du monde en caravane, du funambule au cirque, le piste sans trop de difficultés. Héritier en paroles et musique de Christophe et Alain Bashung, complice de Gérard Manset, il cite pour modèle dans l’écriture des nouvelles l’Américaine Flannery O’Connor – «son écriture est très puissante, elle irradie» – et pour influences Tchekhov, Gogol, Maupassant, Barbey d’Aurevilly, Kafka…
Présentant Haute Fidélité, il expliquait : «Ce qui m’intéresse, c’est le son, le travail sur les textures. Un truc (…) qui ait de la densité, de l’émotion.» Aujourd’hui, adaptant ses propos à l’écriture, il pourrait reprendre la même idée. Homme des échappées belles, Raphaël Haroche ouvre son recueil par une nouvelle qui donne son titre à l’ensemble et emmène lectrices et lecteurs sur une île bretonne qui rappelle celle de Bréhat, où il possède une maison et un bateau. Un couple, Claire et son mari, et leurs deux enfants. Lui est scénariste en panne d’inspiration, elle actrice de réputation internationale. Il est jaloux, sait qu’elle l’a trompé deux fois, que ces temps-ci elle a une autre relation, se demande si elle va le quitter et s’il doit oser fouiller dans son téléphone portable…
Dans une autre nouvelle, Les Patriciens, un couple de vieux homosexuels vit dans une maison comme «dans un tombeau égyptien». Ils recueillent une jeune fille blessée; tels des loups, ses frères attaquent la maison et le couple pour récupérer leur sœur… Un texte sur le tennis, Un monde est un monde parfait où tous les accidents possibles du cosmos ont été prévus, un autre sur un vieil architecte allemand qui a travaillé avec les nazis, réfugié en Amérique du Sud, mais qui, finalement, sera châtié. Et puis Le Monde à venir, temps fort et plus long texte du livre : une femme âgée écrit une lettre, «je suis aux portes de la longue nuit, je ne peux pas te toucher, ni te regarder, d’ailleurs les choses ne seraient certainement pas plus simples si je t’avais devant moi, que je sentais ta présence»… La variété est au rendez-vous, mêlant joyeusement angoisse, fantastique, obscurité et lumière, une pincée de non-sens en cadeau. Non, l’écrivain Raphaël Haroche – qui avouait récemment travailler sur un roman – n’est pas près de s’éclipser !
Serge Bressan
Raphaël Haroche, Une éclipse, Éditeur Gallimard