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À Kaboul, les débuts de la police talibane


Un combattant taliban passant devant l'entrée de la mosquée Eid Gah où une explosion a frappé la veille, à Kaboul, lundi. (photo AFP)

Rahimullah a passé 13 ans dans les rangs des combattants talibans. Aujourd’hui, avec sa patrouille de policiers, il doit rester debout à un poste de contrôle ou sillonner les rues de Kaboul pour attraper « les voleurs, les assassins, ceux qui boivent du vin ».

Comme le reste du mouvement taliban, il expérimente cette transition hésitante d’un quotidien fait de violence, de guerre et d’insurrection aux défis de l’administration civile d’un pays.

Le policier se retrouve à la tête « d’une voiture et de huit hommes », en charge du maintien de l’ordre et de la lutte contre la petite criminalité dans le secteur dit « Police District 10 », au centre de la capitale afghane.

« Ce travail n’est pas risqué », juge d’emblée l’ex-combattant de 28 ans. « C’était vraiment dangereux de se battre », dit l’homme originaire de la province du Wardak, à l’ouest de Kaboul. Il raconte avoir rejoint adolescent les rangs des talibans, « pour l’islam et pour son pays ».

La « police talibane » compte aujourd’hui 4 000 hommes dans la ville, explique Afez Sirajuddin Omeri, porte-parole de la police de Kaboul, assis au volant d’une vieille Corolla poussiéreuse, l’autoradio branché sur des chants religieux.

« Sous le précédent gouvernement, il y avait 300 ou 400 crimes rapportés par jour, aujourd’hui, j’en reçois environ 15 », dresse le fonctionnaire dans un premier bilan impossible à vérifier.

Messages sans équivoque

Les talibans ont adressé à la population des messages sans équivoque, comme ces quatre cadavres de kidnappeurs pendus à une grue dans la ville de Hérat (ouest), ou ces voleurs exhibés le visage peint en noir à Kaboul.

En quelques semaines, reconnaissent les habitants de Kaboul, les nombreux vols et enlèvements ont marqué le pas.

Le mouvement islamiste, qui applique l’une des visions les plus rigoristes de la charia, avait fait régner la terreur lorsqu’il dirigeait le pays entre 1996 et 2001, à coups de lapidations, exécutions publiques dans des stades, coups de fouet en pleine rue ou mains coupées…

Vingt ans plus tard, ces mesures n’ont pas pour le moment été remises à l’ordre du jour.

Arrêter les voitures, ouvrir les coffres, interroger les conducteurs… Dans la patrouille, certains des policiers semblent encore chercher leurs marques.

Ils apparaissent aussi dépaysés par le spectacle de la capitale, très éloigné de leur vie dans les zones rurales, bien plus conservatrices.

Cachés ou en fuite

Dans sa version « talibanisée », la tenue des policiers ne comporte plus de pantalon et de veste, mais une tunique traditionnelle afghane, le shalwar kameez. Cet habit est imprimé dans du tissu militaire bleu, la couleur de l’uniforme de leurs prédécesseurs.

De l’ancienne police afghane, mise en place et formée par les forces internationales, il reste peu. À l’arrivée des talibans, il y a sept semaines, la plupart des policiers ont déserté leurs postes. Redoutant vengeance et exactions, beaucoup d’anciens haut fonctionnaires se sont cachés ou ont fui le pays, notamment les quelques rares femmes gradées de la police. Mais Qari Sayed Khosti, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, les invite désormais à revenir à leur poste, car, dit-il, « ils connaissent leur travail ».

« Il y a un programme de formation en cours et il y aura des professionnels dans tous les domaines », assure le responsable ministériel. Maintenir l’ordre, la sécurité, lutter contre la corruption et protéger les civils font en effet partie des promesses phares des talibans.

Mawlawi Shaker, 34 ans, le commandant du district 10 de Kaboul, dirige 200 hommes et s’occupe « des problèmes de sécurité, des disputes judiciaires, des incidents criminels ». « Ce n’est pas notre travail favori, mais c’est notre responsabilité », admet le commandant au grand turban noir, assis dans son bureau au commissariat.

Sur le mur, on peut encore voir l’emblème de la police de l’ancien gouvernement et, à côté, le drapeau taliban. Passer d’un quotidien exalté de violence extrême à celui, en retenue, du maintien de l’ordre met au défi les jeunes recrues talibanes. Mais Yahya Mansoor, 25 ans, chargé d’un poste de contrôle dans l’ouest de Kaboul, assure que lui et ses camarades sont avant tout là « pour servir le peuple ».

« Auparavant, nous servions en faisant le jihad, maintenant nous construisons notre pays », déclare le jeune homme, tout en reconnaissant que, s’il ne regrette pas les combats, l’esprit de « la lutte sainte » lui manque.

AFP/LQ