Né au sein d’une ONG, le collectif luxembourgeois vante les vertus du multiculturalisme et cherche à partager ses valeurs humanistes, qu’il enrobe d’un rap «old school». Sorti la semaine dernière, son premier LP, le bien nommé Oneness, en témoigne.
Ce samedi, c’est jour de fête pour la Pachamama Family! Et pour cause, du côté de la Kulturfabrik, elle va retrouver la joie des concerts, empêchée qu’elle était par la pandémie depuis une année et demie interminable. Un crève-cœur pour un collectif qui aime partager avec le public ses idées positives et de bonnes «vibes». Mais attention, si elle a été éloignée de la scène, le virus n’a pas tenu la famille à distance. En témoigne un premier LP, sorti il y a tout juste une semaine, au nom qui, à lui seul, en fait la démonstration : Oneness («Unité»).
Une solidarité et une bienveillance qui sont loin d’être de façade, puisque la bande s’est façonnée au sein de l’ONG Frères des Hommes, qui fait de la dignité et de l’égalité son credo. Précisions de Carl, alias Don Cee, par qui tout est arrivé : «J’y étais pour une durée de six mois dans le cadre de mon service volontaire national, en 2018. J’avais comme projet de faire quelque chose pour la journée de la Terre nourricière (NDLR : le 22 avril).» Naît alors une chanson, puis rapidement six autres, qui vont se retrouver sur EPocalypse (2019), premier disque du combo. Au passage, le clip de l’une d’elles, Gimme More, est réalisé en partenariat avec SOS Faim Luxembourg.
Le résultat d’une entente immédiate et d’envies communes, comme l’explique Antonin, dit Anto : «Carl avait rassemblé tout un groupe autour de lui. On s’est retrouvés à la Bamhaus, à Dommeldange, pour l’enregistrement. Au bout d’une journée ensemble, on avait déjà plein d’idées pour la suite. C’était comme si on se connaissait depuis toujours!» Bah Dilla, L’As Le Dégueu, Fizé, Piloco, Don Gio, V.I.C et les autres décident alors d’entretenir cette belle dynamique : ils se retrouvent à plusieurs pour composer, dans différents formats et de manière plus ou moins spontanée.
De skateparks en bars, le collectif à géométrie variable fourmille d’idées, qui se mélangent sans vouloir prendre le dessus. «Dans tous les cas, on se supporte!, avance Anto. Il n’y a jamais de clashs. On se sert tous les coudes, on partage, on crée un truc ensemble…» En atteste la mise en boîte artisanale du premier EP, entassés à huit dans une petite chambre… «Tout le monde devait se taire, sinon ça s’entendait sur les bandes! Mais ça avait son charme», rigole Don Cee de bon cœur. Dessus, la Pachamama Family pose les bases d’un hip-hop qu’elle veut «conscient», aux messages qui font sens.
IAM, Wu-Tang Clan et la Fonky Family
«C’est l’urgence qui le réclame!», bondit Anto, «marqué» notamment par un séjour en Indonésie. «Je faisais du snorkeling (NDLR : sorte de randonnée subaquatique) et la mer était bourrée de plastique. Les locaux la nettoient alors… à la dynamite!» EPocalypse parle donc de malbouffe, de gaspillage, de pollution et de destruction de la nature. Son successeur, Oneness, enchaîne lui les messages sur des «sujets qui nous accompagnent tous les jours, comme la lassitude, l’alcool, la superficialité…», détaille-t-il.
On est huit, de différents âges et on chante en cinq langues. Ça représente bien le Grand-Duché, non?
C’est que la Pachamama Family s’intéresse aux problématiques du moment, notamment à travers ce qu’elle observe dans son pays, le Luxembourg. Au point d’en épouser certains traits, comme ce multilinguisme, brandi comme un étendard. Toujours Antonin, qui va droit au but : «On est huit, de différents âges et on chante en cinq langues : français, luxembourgeois, anglais, portugais et italien. Ça représente bien le Grand-Duché, non?» «Une nouvelle touche» qui ne fait pas semblant, comme lorsque son duo de Lusitanie raconte la nostalgie de l’exil dans Saudade.
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«Enregistré dans de bonnes conditions» grâce notamment à l’appui du ministère de la Culture, Oneness défend d’autres philosophies qui lui sont chères, l’une, géographique, avec l’importance du vivier local, et l’autre, temporelle, avec la défense d’un style d’école qui «disparaît progressivement des ondes» : le boom bap. Explications d’Antonin : «C’est la culture dans laquelle on a baigné et ça ne nous quittera jamais! On veut montrer que les bases existent encore et que certains essayent de les maintenir vivantes.» Pour preuve, ce son qui claque, l’incursion de l’imagerie Shaolin (chère à IAM et au Wu-Tang Clan) et d’autres sonorités plus entraînantes, à la Fonky Family.
«Aujourd’hui, on qualifie de rap des musiques dérivées qui ne le sont plus vraiment, poursuit Carl. Notre collectif, c’est un hommage à la culture hip-hop dans son ensemble, mais aussi ses origines, ses valeurs initiales.» Quinze chansons qui, parfois, prennent également des chemins de traverse, un peu rock, un peu reggae, un peu électroniques, en fonction du producteur qui se retrouve derrière les instrumentaux. «Quand on s’appuie sur Them Lights ou Alfalfa, on sait à l’avance que ça va être quelque chose de différent», affirment-ils sans détour.
«Old school» et mixes sur cassettes
Car la Pachamama Family, engageante, ne veut pas se développer sans s’appuyer sur la richesse locale. Une scène «à l’immense potentiel», selon Don Cee, qu’il faut mobiliser. Des «proches», bien sûr, comme BTM, Corbeats ou Headmasta, énumère Anto, mais aussi d’autres, qui viennent parfois de loin… «Le morceau Pacha’Mamaz étant 100 % féminin, Carl a contacté Polybv, une productrice du Chili!» Il enchaîne, convaincu : «Il y a plein de bonnes choses au Luxembourg. Pourquoi s’en priver!» Son partenaire, Don Cee, parle même de «pont entre les générations». «Fizé est là depuis les années 80. Idem pour DJ PC, un vétéran de la scène. À l’époque, il faisait des mixes sur cassettes!»
Le collectif joue donc à l’équilibre entre les époques : fan du «old school» qui défend le travail bien fait (notamment dans la création d’instrumentaux originaux) et la nécessité de passer un message, «d’amener à réfléchir», il n’en oublie pas pour autant ses réalités, en cherchant à capter «l’inquiétude du moment présent». Et il y a de quoi faire au vu de la masse des sujets qui dérangent. Ce qui fait dire à Antonin : «Si on se prend un week-end et que l’on s’enferme en studio, je suis sûr que l’on en sort avec un EP!» Avant cela, il y a d’abord ce concert tant attendu à la Kulturfabrik, qui pourrait d’ailleurs s’articuler autour du slogan développé en son temps par la Zulu Nation : «Peace, Unity, Love and Having Fun!».
Grégory Cimatti
Oneness, de Pachamama Family.
«Release party», samedi à partir de 19 h 30.
Kulturfabrik – Esch-sur-Alzette.