Dans Stillwater, Matt Damon traverse l’Atlantique pour libérer sa fille de prison, emprisonnée à Marseille. Un (faux) thriller américain doublé d’une étude de personnages… à la française.
Cinq ans après le triomphe de Spotlight (2016), drame d’investigation remontant le fil d’un scandale de pédophilie dans l’Église catholique dévoilé par des journalistes du Boston Globe, le réalisateur américain Tom McCarthy s’est attelé à une autre épreuve : mettre en scène un long métrage qui mélange crime, relations familiales, action, portrait social et dépaysement, avec Stillwater. Un drame inhabituel dans lequel Matt Damon tient le haut de l’affiche, dans le rôle de Bill Baker, un col-bleu travaillant dans le pétrole qui quitte son Oklahoma natal pour Marseille, dans le sud de la France, où sa fille, Allison (Abigail Breslin), est emprisonnée depuis quatre ans, retenue coupable du meurtre de sa colocataire. Bill ne connaît ni la ville ni sa langue, mais se sent prêt à tout pour faire remonter à la surface la seule preuve qui peut innocenter sa fille et les aider à renouer des liens longtemps perdus.
(Stillwater n’est) ni un film américain ni un film français, mais un film hybride
«C’est un film qui a plusieurs facettes», déclarait Tom McCarthy lors de la conférence de presse du film au festival de Cannes, en juillet, où le film était présenté en sélection officielle et hors compétition. «Il traite certes de la façon dont les Américains sont perçus à l’étranger, mais c’est avant tout un film sur les relations. Notre pays était très tourmenté à l’époque (de l’écriture), il était en pleine transformation. Ainsi, j’ai pensé qu’il serait utile de travailler avec deux auteurs français qui avaient un peu plus de recul.» Les heureux élus sont Thomas Bidegain et Noé Debré, qui ont notamment signé ensemble le scénario de Dheepan, de Jacques Audiard, Palme d’or du festival de Cannes en 2015. En collaborant avec eux, le scénariste et réalisateur américain a «senti que nous ne faisions ni un film américain ni un film français, mais un film hybride. Pour moi qui suis très influencé par le cinéma français et européen, c’était un rêve qui se réalisait».
Hybride, certes, d’autant plus que le film prend son point de départ dans un fait divers qui a défrayé la chronique. «J’étais fasciné par l’affaire Amanda Knox», avouait Tom McCarthy, du nom de cette étudiante américaine jugée coupable du meurtre, en 2007, de sa colocataire dans leur appartement de Pérouse, en Italie, avant d’être acquittée en 2015. Le cinéaste assure néanmoins qu’il ne voulait pas en faire une adaptation au cinéma. «C’est resté une inspiration avant toute chose, une base. Ce qui m’intéressait surtout, c’est la relation entre un père et sa fille, ce que cela impliquait de devoir voyager pour l’améliorer.»
Car le protagoniste de l’histoire est bel et bien Bill, le père de la jeune fille emprisonnée, avec qui le lien n’est pas au beau fixe. Casquette invariablement vissée sur le crâne, corps massif et visage impassible en bas duquel est tracé un bouc : le personnage vient de toute évidence d’un autre monde que de la «planète Mars». Bill est «un personnage particulier, qui vient d’un endroit précis des États-Unis», racontait Matt Damon. L’acteur a préparé son rôle en se rendant en Oklahoma pendant deux mois en amont du tournage, accompagné de Tom McCarthy : un moment «primordial pour construire ce personnage», assurait-il. «Les gens du coin nous ont amenés sur les lieux où l’on forait le pétrole (…), nous ont accueillis chez eux les dimanches pour des barbecues, avant de sortir une guitare et de chanter des chants religieux. C’est un endroit très particulier, qui n’a rien à voir avec l’endroit où j’ai grandi.»
La course contre la montre qui est au cœur de la dimension thriller de Stillwater donne lieu à quelques séquences impressionnantes – dont une qui débute dans les gradins du stade Vélodrome, lors d’un vrai match de l’OM et qui se termine dans une ruelle sombre de la ville –, mais la machine américaine se met en marche un peu tard dans ces 2 h 20 de film. Son côté français, en revanche, consiste la plupart du temps en une étude passionnante des personnages et de la mécanique de leurs relations. Un aspect du film que Tom McCarthy a tenu à rendre authentique en tournant le film dans l’ordre chronologique. «Quand je frappe à la porte de Bill et que je me présente, c’était réellement notre première rencontre», s’est souvenue Camille Cottin. Entre Virginie, le personnage interprété par l’actrice de Dix pour cent et Bill, il se développe une relation d’entraide qui prend de la profondeur au fur et à mesure du temps que le protagoniste passe à Marseille. Une relation qui s’est ainsi «construite au fil des jours», selon Camille Cottin, à tel point que «quand le tournage s’est terminé, j’étais triste de ne plus jamais revoir Bill Baker».
La mère célibataire, très proche de sa fille de neuf ans, et le père veuf marqué par la relation difficile avec sa fille emprisonnée, tombent amoureux. Elle est une artiste cultivée, lui un ouvrier renfrogné. Elle revendique qu’elle est une «bobo» de gauche, lui élude la question : «As-tu voté pour Trump?» avec une pirouette. «L’Oklahoma est l’État le plus rouge des deux dernières élections», développait Matt Damon. Avec la Virginie-Occidentale, c’est le seul État où l’ex-président républicain a remporté tous les comtés en 2016 et 2020. «Quand on parle à ces ouvriers qui travaillent dans le pétrole, la question ne se pose même pas : leur vie dépend de cela.» Pour autant, mis à part ce court moment, Stillwater n’est jamais un film politique. «(Bill) vient de cet endroit et le film a beaucoup d’empathie pour lui. Lui, comme les vrais ouvriers que nous avons rencontrés en Oklahoma, ne s’excuse jamais d’être qui il est.» Le film prouve même qu’à Marseille, il n’en a pas besoin.
Valentin Maniglia