Dans la Moselle, les caves sont prêtes pour le début des vendanges. Mais il faut encore attendre quelques jours avant de les lancer : rien ne presse, autant laisser les raisins finir leur maturation. Surtout s’il ne pleut pas trop.
À pareille époque, ces dernières années, tous les vendangeurs étaient sur le pont. L’effervescence régnait dans les vignes et à la cave, où une noria de tracteurs venait livrer les grappes tout juste coupées. On se souvient tous de l’été 2018, devenu fameux, où pour la première fois de l’histoire, des raisins ont été vendangés en août. Mais 2020 (début des vendanges le 2 septembre), 2019 (11 septembre) et 2017 (13 septembre) n’étaient pas mal non plus, dans leur genre. Cette année, le mois de septembre est beaucoup plus calme. Il faut remonter à 2016 pour retrouver un calendrier ressemblant, même si les conditions n’avaient rien à voir. En retard, alors, la récolte? Par rapport aux derniers millésimes, c’est certain, mais finalement, on se retrouve dans les normes des dernières décennies, celles où les vendangeurs arrivaient sur place vers la fin septembre.
Les causes de ce décalage sont faciles à trouver. Les pluies ont été diluviennes tout au long de l’été et l’ensoleillement minimum : si les plantes ont fait quantité de feuilles, il a fallu beaucoup de temps pour que les fruits mûrissent. Les vignerons, eux, ont dû s’activer comme jamais. Alors qu’ils commençaient à s’habituer aux canicules qui devenaient la norme, ils ont dû complètement revoir leurs schémas. Ils avaient appris à ne pas trop effeuiller les vignes les années chaudes pour mettre les raisins à l’ombre et leur éviter les coups de soleil? Basta : voilà qu’il a fallu gérer une abondance de feuilles, qui créait des conditions parfaites pour la diffusion du mildiou… La viticulture est une école de la résilience où rien, finalement, n’est jamais complètement acquis. Celui qui, par lassitude, ne s’en tiendrait qu’à répéter les mêmes gestes à chaque millésime courrait à sa perte.
Les étés humides sont les favoris des champignons (mildiou, oïdium) et la plus grande attention était requise. En cas de situation critique, une journée de retard dans les traitements peut valoir la perte d’un gros pourcentage de récolte. On a coutume de dire que les années difficiles sont les années où l’on reconnaît les bons vignerons : celle-là ne fera pas exception.
Personne n’est pressé
Malgré ces conditions compliquées, la sentence n’est pas forcément dite sur la qualité des vins qui seront produits cette année. Il y a deux moments vraiment importants lors d’une année culturale : la floraison et les quelques semaines qui précèdent les vendanges. Et puis, n’oublions pas le petit miracle qui a permis à la Moselle luxembourgeoise d’être miraculeusement épargnée par les gelées tardives qui ont brûlé les premiers bourgeons dans pléthore de vignobles européens, comme ceux pas si lointains de Bourgogne et de Champagne.
La floraison, donc, s’était passée sans trop de soucis et, depuis quelques semaines, les précipitations ont diminué. Le temps est relativement chaud et bien plus sec, ce qui est parfait pour que les raisins puissent terminer au mieux leur maturation. D’autant que désormais leurs peaux sont suffisamment épaisses pour ne plus craindre les attaques du mildiou. Si les précipitations restent mesurées (et que les grappes peuvent sécher rapidement), la pourriture grise (le botrytis) ne fera pas de grands dégâts.
Car, au fond, personne n’est pressé : ce ne sont pas nécessairement les années les plus précoces qui offrent les meilleurs vins. Les taux de sucre raisonnables (historiquement classiques) permettront d’avoir une très bonne base pour l’élaboration des crémants, la production phare de la Moselle luxembourgeoise. Comme le rappelle le vigneron Frank Duhr, le riesling aussi se satisfait très bien de raisins un poil austères. Si cela fait 500 ans qu’on le plante sur la Moselle, c’est bien qu’il est adapté au climat!
En ce moment, donc, les vignerons ne sont pas pressés. Tant qu’il ne pleut pas trop, ils retrouvent même le sourire Et puis, qui sait, ces vendanges pourraient même se prolonger au début de l’hiver. Or cela fait une éternité que l’on n’a pas produit de vin de glace au Luxembourg. Plus l’année est tardive, et plus les chances sont grandes…
Erwan Nonet