Dix nouvelles pour un exercice dans lequel Richard Ford confirme être l’un des meilleurs en activité outre-Atlantique.
Vivant de passion pour la pêche, la chasse et le journalisme, il avoue, le dit et répète : «Je n’ai jamais rêvé de devenir écrivain. Écrire n’est pas toute ma vie. Je peux arrêter demain sans problème.» On lit : «La vie, ce sera ça, désormais, pensa-t-il. Un catalogue. Les conversations, les rencontres, les gens, les départs, les arrivées. Les choses qui passent, fantomatiques. Rien d’effroyable.» Né le 16 février 1944 à Jackson, Mississipi, ayant grandi dans l’Arkansas près de son grand-père, Richard Ford a notamment reçu le prix Pulitzer en 1996 pour Indépendance et le prix princesse des Asturies en 2016 pour l’ensemble de son œuvre. En cet été finissant, l’écrivain américain revient, à 77 ans, à nous avec un nouvel et quatrième recueil de nouvelles au titre presque banal : Rien à déclarer.
Dix nouvelles pour un exercice dans lequel Ford confirme être l’un des meilleurs en activité outre-Atlantique, dans un genre dans lequel la concurrence est d’un très haut niveau… Dans les pas de l’auteur, on se retrouve à New York, dans le Michigan, à La Nouvelle-Orléans, à Paris, à Dublin… Hommes et femmes regardent dans le rétroviseur de la vie. Des gens seuls, pour la plupart : les hasards de la vie les ont faits séparés, veufs ou veuves ou tout ordinairement célibataires. Chez ces personnages, il y a des interrogations, sur l’avenir plus ou moins proche, plus ou moins lointain.
Ainsi, «le deuxième été après la mort de sa femme, Peter Boyce décida de louer la petite maison au bout de Cod Cove Road». Avocat, il est persuadé qu’il va rebondir, se réinventer à la condition de renouer avec sa fille, mais le hasard lui fait rencontrer une jeune femme perdue qu’il va héberger dans la maison qu’il vient de louer près de celle où il fut heureux dans sa vie précédente, et qui le rejoindra dans son lit. La question surgit, cinglante : pourquoi était-il persuadé qu’elle allait l’assassiner? Dans une autre nouvelle, cette fois située à Paris, dans la nuit de l’élection de Bill Clinton à la présidence des États-Unis, en sortant d’un bar, Jimmy Green se fait sacrément tabasser. Il a «la sensation d’être ivre plutôt que blessé»…
Influencé par James Salter et Alice Munro
Des avocats croisent une femme qu’ils ont aimée dans leur jeunesse, il s’ensuit une promenade. Plus loin, un riche homme d’affaires assure être heureux dans son deuxième mariage. Mais sa femme va demander le divorce au motif qu’il «lui semblait être un homme qui croyait à une proximité toujours plus grande entre mari et femme». D’autres encore comme Jonathan Bell ou Ricky Grace, des Américains ou des Irlandais, savent qu’ils ont passé depuis quelque temps leur mi-vie. Tous se doivent de faire le même constat : ils se débattent avec la solitude, le dépaysement, la rupture. Oui, «la vie, ce sera ça, désormais».
Richard Ford jure ses grands dieux qu’il n’y a rien d’autobiographique dans ces dix nouvelles, c’est souvent un mélange (mal)heureux de déception et de malentendus, de doutes et d’inconfort, de désarrois, aussi. C’est une vie enveloppée d’ironie… Souvent, l’écrivain malgré lui a revendiqué deux influences majeures : l’Américain James Salter, maître de la précision et de la mélancolie, et la Canadienne Alice Munro, experte du discours indirect. Des auteurs qui lui ont légué l’art de rapporter les regrets, les rendez-vous manqués, les occasions perdues. Oui, vraiment, il n’y a rien à déclarer, si ce n’est qu’«à mes yeux, écrire sur les choses les plus sombres est un acte d’optimisme», comme l’a confié Richard Ford. «Et puis j’aimerais qu’on reconnaisse que je sais imaginer autre chose que des histoires sombres. Dans mes livres, il est essentiellement question de rédemption, de résilience…»
Serge Bressan