Ce jeudi soir, Message in a Bottle investira le Grand Théâtre. Sur les musiques de Sting, la pièce raconte le parcours de trois adolescents réfugiés. Entretien avec la créatrice et chorégraphe Kate Prince pour son premier passage au Luxembourg.
On connaît mal Kate Prince et sa compagnie de danse hip-hop, ZooNation, en dehors du Royaume-Uni. Mais de l’autre côté de la Manche, ce sont des stars, la chorégraphe ayant été nommée trois fois aux prestigieux Laurence Olivier Awards pour des œuvres passées. Ce jeudi soir, elle présente sa nouvelle pièce, Message in a Bottle, d’après les chansons de Sting, au Grand Théâtre. «Un moment très important pour moi», dit-elle, parce que sa venue à Luxembourg marque la première fois depuis la création de sa compagnie, il y a 19 ans, qu’elle présente l’un de ses spectacles à l’extérieur de son pays.
En plus de retrouver les titres célèbres du chanteur de The Police, Message in a Bottle raconte, tout en mouvements, l’histoire de trois frères et sœurs qui doivent quitter leur pays en guerre et survivre en tant que réfugiés. Un spectacle à la fois sombre et joyeux, pour lequel Sting lui-même «a réenregistré certaines chansons, dont Every Breath You Take», et «écouté et validé tous les nouveaux arrangements». Kate Prince, fan de Sting de la première heure, raconte au Quotidien l’histoire d’une pièce à la fois pop, politique et personnelle.
Message in a Bottle mêle les chansons de Sting, la danse hip-hop et une histoire autour de réfugiés. Comment avez-vous marié tous ces éléments?
Kate Prince : Toutes ces choses sont un reflet de qui je suis. Ma famille a toujours beaucoup écouté Sting et The Police, j’ai en quelque sorte grandi en l’écoutant et je continue de le faire. Mon mari est aussi un grand fan : quand nous nous sommes mariés, l’une des chansons de notre cérémonie était Walking on the Moon. J’ai émis l’idée d’une pièce de danse à partir des chansons de Sting à mon patron (du théâtre) Sadler’s Wells; je n’avais pas encore d’histoire. Deux mois plus tard, je me suis retrouvée face à Sting en personne. Je lui ai proposé de faire un atelier pour développer mes idées, puis de le lui présenter afin qu’il me donne ou pas sa permission de transformer cela en un spectacle. Il a assisté au premier atelier, dans lequel j’avais choisi six chansons, vaguement liées à travers une histoire. Mais très vite, je me suis aperçue que certaines étaient en lien direct avec un travail que j’avais effectué sur les réfugiés. En creusant un peu plus dans son catalogue, j’ai trouvé d’autres chansons qui fonctionnaient dans cette histoire. Dans mon travail chorégraphique, j’ai toujours besoin d’une histoire pour développer un sens politique, que l’on exprime à travers la danse hip-hop.
Le titre le plus difficile à insérer était Roxanne. Ce qu’il raconte est très clair, et c’est sa chanson la plus célèbre!
Certaines de ses chansons présentes dans la pièce, comme Englishman in New York ou Invisible Sun – écrite en Irlande pendant les Troubles –, sont ouvertement politiques; d’autres moins, comme Roxanne. Était-il difficile de les lier dans la pièce?
C’est avant tout une question de temps. Il faut prendre le temps de connaître ses personnages, de leur donner un parcours et un passé. Le titre qui a été le plus difficile à insérer était Roxanne. Ce qu’il raconte est très clair, et je ne pouvais pas lui donner un autre sens : il fallait que ça parle d’une travailleuse du sexe. J’ai mis du temps avant de savoir ce que j’allais en faire. Roxanne étant sa chanson la plus célèbre, je ne voulais pas que le public réagisse en levant les yeux au ciel. J’ai essayé de contourner cela en ajustant mon propos, qui tourne plutôt autour de l’addiction, du pouvoir et du contrôle qu’exercent sur elle les hommes qui l’ont capturée. C’est la même interprétation, avec un sous-texte légèrement différent.
Comment comparez-vous Message in a Bottle à vos précédents travaux?
Le plus gros défi a été qu’avec mes précédents travaux, le public ne vient pas avec une idée préconçue de ce qu’il va voir. Devant Message in a Bottle, il a déjà la musique dans sa tête et peut donc déjà imaginer ce dont la pièce va parler. Une grosse partie du travail de la compagnie a été de travailler sur l’histoire et le mouvement pour que le public écoute la musique sans être distrait et reçoive quelque chose de nouveau. La pièce est basée sur des histoires vraies, à partir d’un travail documentaire. Le public n’a pas besoin de savoir cela, mais il doit se demander ce qu’il ressent, si ce qu’il voit et entend provoque chez lui des pensées, qu’il se questionne sur son positionnement par rapport aux réfugiés…
Le covid-19 a toujours plus creusé les inégalités entre humains. Est-ce que la pièce trouve un nouveau sens avec cette pandémie?
Sans doute, oui. J’attends aussi de voir comment le spectacle va être reçu avec tout ce qu’il se passe en Afghanistan. Lors des premières représentations, les gens parlaient beaucoup de la situation des réfugiés. Puis la pandémie est arrivée, et le public a particulièrement retenu les thèmes du deuil et de la perte des êtres aimés. C’est un sujet qui touche tout le monde, d’une certaine manière. Cela peut sembler très sombre, mais il y a beaucoup de joie et d’énergie. Et ce que font les danseurs sur scène, c’est incroyable!
Message in a Bottle,
Ce soir, demain et samedi à 20 h.
Grand Théâtre – Luxembourg
Valentin Maniglia