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Luxembourg : la justice sera plus transparente avec ses «clients»


Les ministres de la Justice et de la Sécurité intérieure, Sam Tanson et Henri Kox, sont désormais prêts à légiférer sur la gestion des banques de données de l’appareil judiciaire et de la police. (Photo : hervé montaigu)

Le cadre légal pour le traitement des données à caractère personnel collectées par les autorités judiciaires va être revu et corrigé. Un des objectifs majeurs est la protection contre des risques d’abus.

Nous sommes le 10 juillet 2019. Pendant plus de cinq heures, la Chambre des députés mène un débat à bâtons rompus sur les «fichiers bis». Le CSV et ses députés Laurent Mosar et Gilles Roth chargent lourdement le ministre de la Justice Félix Braz, accusé de «ne pas être assez digne» de sa fonction.

L’origine de cette passe d’armes fut la découverte d’une faille majeure dans la loi régissant les bases de données entretenues par la police (fichier central) et la justice (Ju-Cha). Lors d’un entretien d’embauche, un candidat ayant postulé pour intégrer l’administration judiciaire s’était vu reprocher des antécédents de justice classés depuis de longues années. Il y aurait eu violation de la réglementation sur la protection des données personnelles. Le droit à l’oubli n’aurait pas non plus  été respecté.

La tension est nettement retombée depuis l’été 2019. «J’ai tenu à remercier les députés Mosar et Roth pour avoir attiré l’attention sur cette lacune légale», dira même la ministre de la Justice au moment de présenter la réforme de la loi régissant la base de données des autorités judiciaires, baptisée «chaîne pénale de la justice» («Ju-Cha»). Le texte est censé réglementer avec précision l’enregistrement des informations et l’accès aux données personnelles collectées par les magistrats. En janvier, le ministre de la Sécurité intérieure, Henri Kox, avait déjà présenté son projet de loi pour adapter le cadre légal du fichier central de la police.

«L’objectif du nouveau texte est d’offrir les garanties nécessaires pour une protection efficace des données personnelles tout en permettant à la justice d’effectuer un travail efficace», résume Sam Tanson. En d’autres termes : la protection des données ne doit pas freiner les magistrats dans la poursuite de personnes ayant enfreint la loi. «On oublie parfois que le fait de traiter ce genre de données est dans l’intérêt de nous tous», souligne la ministre.

Un délai de conservation défini par la loi

La base de données de la justice pénale va comprendre sept «modules» : le casier judiciaire, les dossiers répressifs, les dossiers jeunesse, les affaires d’entraide pénale internationale, les dossiers d’exécution des peines, les dossiers du service central d’assistance sociale et le contrôle d’accès. Pour chacun de ces modules sont définis les finalités de la collecte des données, les catégories de données traitées, les conditions d’accès à la base de données et les délais pour la consultation des données (entre 6 mois et 10 ans). «Toute personne concernée sera en mesure de retracer dans quelles conditions et pour quelles raisons ses données ont été traitées par la justice», affirme Sam Tanson.

Le droit à l’oubli est aussi ancré dans la loi. Les contraventions de police, inscrites dans le casier judiciaire, sont versées après cinq ans dans un dossier à l’accès restreint. Ce délai augmente à 10, 15 et 20 ans selon les peines de prison prononcées. Plus important encore : une fois les délais expirés ou en cas d’acquittement, les données personnelles sont supprimées du fichier central de la police.

La procédure législative s’annonce longue. L’espoir de pouvoir faire voter les deux textes courant 2022 est toutefois présent.

La présomption d’innocence est-elle menacée?

La réforme de la loi sur la base de données de la justice compte aussi créer une base légale concernant l’alerte que le parquet peut lancer auprès d’un employeur si un salarié travaillant dans un domaine sensible fait l’objet d’une enquête pour des faits graves. Cette mise en garde peut être lancée avant que la personne concernée ne soit passée devant les juges.

La présomption d’innocence est-elle menacée pour autant? Non, répond la ministre de la Justice : «Il faut mettre en balance la présomption d’innocence et la responsabilité de l’État. Nous avons décidé que le parquet doit pouvoir agir dans des dossiers où il y a un risque que la personne incriminée puisse nuire à la vie d’autrui.»

Plus concrètement, cela peut concerner un éducateur ou un enseignant suspecté d’être un pédophile, mais qui en attendant d’être jugé peut continuer à travailler. «Il s’agit de cas extrêmes, mais qui sont très rares. La protection de victimes potentielles est dans ce genre de dossier à placer au-dessus de la présomption d’innocence. Ce n’est d’ailleurs pas une nouvelle procédure. La protection renforcée des données personnelles nous pousse toutefois à créer un cadre légal adapté», explique de son côté le procureur général d’État, Martine Solovieff.

La proposition doit encore être avisée et validée par le Conseil d’État.

David Marques