L’eurodéputé Christophe Hansen (PPE/CSV) a été nommé rapporteur du Parlement européen pour le nouvel instrument visant à remédier aux lacunes juridiques de potentielles distorsions de subventions étrangères au sein du marché unique. Le point.
Quelle est la raison de ce point presse de votre part par rapport au calendrier européen?
Christophe Hansen : J’ai été nommé rapporteur pour le Parlement européen, il y a une dizaine de jours et nous avons décidé de planifier cette conférence de presse pour aujourd’hui (NDLR : lundi). Cela tombait bien, car c’était le début de la session plénière.
Quel est le contexte général qui entoure votre intervention?
Il s’agit d’évoquer les marchés publics dans le cadre des subsides octroyés par des pays tiers à des entreprises; la situation actuelle est que l’on a par exemple des règles d’aides d’États qui sont très strictes. Il y a des législations européennes qui sont transposées dans les législations nationales, lesquelles visent justement à éviter qu’il y ait des aides d’États anticompétitives et qui nuiraient au bon fonctionnement du marché intérieur. Et nous voulons justement avoir les mêmes règles et une concurrence loyale pour nos entreprises européennes. Par contre, le problème est que l’UE est une économie largement ouverte. Nous sommes très dépendants également des investisseurs des pays tiers dans l’UE et nous n’avons ainsi pas les mêmes leviers que pour les acteurs européens. L’UE a donc actuellement un vide législatif. En effet, il nous manque un instrument pour faire respecter les mêmes règles et mettre à pied d’égalité les entreprises étrangères et européennes. Il y a des rapports de la Commission européenne qui l’indiquent très clairement : il y a de plus en plus d’investisseurs venant de pays tiers dans l’UE qui bénéficient largement de subventions étatiques.
De quel(s) type(s) de subventions s’agit-il?
Elles peuvent prendre différentes formes. Cela peut être des crédits à taux zéro, des aides directes monétaires, des garanties, des avantages fiscaux… d’où une concurrence déloyale avec des entreprises chinoises, russes… Pour l’importation de biens, comme l’acier, là l’UE dispose de mesures antidumping qu’on peut faire jouer, mais l’UE n’a pas de tel levier pour les marchés publics, pour les acquisitions ou les reprises de sociétés européennes, s’il s’agit d’un investisseur d’un pays tiers. Il faut combler cette lacune.
Marchés publics : pas de mesures antidumping
Comment dès lors changer la donne?
Par la mise en place d’instruments afin que l’UE ne devienne pas une proie facile pour les investisseurs étrangers. L’UE est largement ouverte certes, mais il faut des garde-fous, à l’inverse de la Chine, par exemple, qui a mis une multitude de sauvegardes et d’obligations en place pour pénétrer son marché. Pour remédier à cette situation inégale, il y aurait plusieurs instruments. Le premier, relatif aux marchés internationaux, bloqué pendant 8 ans au Conseil européen, notamment à cause des négociations au sujet de l’accord d’investissement avec la Chine qui a été conclu en décembre 2020, mais qui devrait être ratifié par l’UE. Cela étant, il a été gelé à cause de sanctions mutuelles (l’UE avait émis des sanctions pour violation des droits de l’homme où des avoirs de particuliers ou d’entreprises chinoises ont été gelés dans l’UE).
Existe-t-il d’autres instruments?
Oui, en effet. Un deuxième instrument concerne les investissements directs étrangers. Un mécanisme est en place depuis plus d’un an, mais malheureusement, il est volontaire au niveau national. Mon collègue Claude Wiseler (député national CSV/opposition) a élaboré une proposition de loi qui est au Conseil d’État depuis presque deux ans et les lignes ne bougent pas. Et il n’y a que 18 des 27 États membres qui disposent de cette législation. Et le problème est que le Luxembourg n’en fait pas partie, alors qu’il est le pays de l’OCDE le plus ouvert aux financements étrangers. Si on ne joue pas le jeu, on est un peu responsables, ce n’est pas l’idéal pour le bon fonctionnement du mécanisme, d’autant plus que la crédibilité et l’image du Grand-Duché en pâtissent.
Vous-même êtes rapporteur d’un troisième et nouvel instrument…
Exact, mais nous en sommes tout au début du processus législatif. La Commission a émis sa proposition au mois de mai et les travaux au Parlement vont débuter en octobre.
Préoccupés, les Chinois font pression
En quoi consiste-t-il, brièvement?
Ce nouvel instrument s’attache déjà à fournir une définition de ce qu’est une « subvention ». Et il aspire également à définir à quel moment les subventions en question s’avèrent nocives pour la concurrence et ses règles dans le marché intérieur. Plus précisément, il se décline en trois mécanismes.
Quels sont ces trois mécanismes?
Les deux premiers sont des instruments de notification. Si, par exemple, il y a une reprise d’une entreprise qui affiche un chiffre d’affaires de plus de 500 millions d’euros, le système implique que l’on doive obligatoirement notifier toutes les subventions perçues par l’entreprise, de la part d’un pays tiers, à la Commission européenne, pour pouvoir procéder à l’acquisition. Et sur ce point, je me dis que ce seuil est trop élevé, car ce système élimine de facto les plus petites entreprises dont les PME. Il faut trouver une solution pour que la Commission n’ait pas à analyser tous les cas et pour les secteurs où le risque est grand que la reprise soit déloyale et que les technologies, développement et recherche qui ont été faites (on parle notamment de PME du type start-up technologiques) soient transférées et qu’au final, la production soit également délocalisée.
Concernant la partie relative aux marchés publics, il faut aussi appliquer un système de notifications et là le seuil est de 250 millions d’euros qui, à mon avis, est aussi assez élevé. Parce que nous avons quand même pas mal de projets aux coûts inférieurs et qui valent la peine. Il s’agit souvent de projets cofinancés par l’UE et l’argent du contribuable est donc clairement en jeu : or les citoyens ont le droit de savoir où va leur argent! Dans ces cas-là de cofinancement cela devrait être aussi couvert.
Enfin, selon un dernier instrument, la Commission peut, si elle a de sérieux doutes et à tout moment analyser des cas qui ne seraient pas couverts et où il y aurait danger imminent. Il y a beaucoup d’interrogations sur ce point, sur quelle base cet instrument pourrait être déclenché.
Quand pourrait-il être voté?
En commission parlementaire du Commerce international, je table sur un vote avant l’été 2022. Et pour la fin de l’année concernant le vote en plénière. Il faut prendre ce dossier très au sérieux et ne pas trop tarder. Il y a donc un appel à faire au Conseil des ministres, car certains pays d’Europe centrale et de l’Est ne veulent pas d’un tel document et tentent d’affaiblir ce système en raison de leur relation préférentielle avec la Chine qui fait énormément pression. Les Chinois sont très préoccupés. Alors qu’il est d’autant plus important de mettre en place ces mesures, depuis que l’accord d’investissement avec la Chine de fin 2020 a été gelé.
Pour conclure, on voit que la Chine domine de plus en plus le commerce international et notamment l’UE. Que cela vous inspire-t-il?
L’UE est en train de perdre des pourcentages sur le commerce global et elle devient de plus en plus petite par rapport à la Chine et aux nouveaux pays émergents. C’est justement pour cela qu’il faut riposter et ne pas attendre pour le faire, en prenant ces mesures!
Claude Damiani