Avant le généreux et attendu documentaire signé Peter Jackson, prévu fin novembre, Disney+ revient sur les Beatles avec une minisérie qui met face à face Paul McCartney et le producteur Rick Rubin, dans l’intimité d’un studio et autour de l’acte créatif. Savoureux.
Beaucoup de choses ont été dites, montrées et écrites sur les Beatles, groupe qui, en une décennie, a révolutionné l’histoire de la musique. Pourtant, régulièrement, ne serait-ce que pour entretenir la légende, des images et sons, estampillés «inédits», ressortent des cartons, pour le bonheur des fans, jamais rassasiés, et des jeunes générations. Ce fut déjà le cas en 1995 avec Anthology, série télévisée en huit épisodes, dans laquelle Paul McCartney, Ringo Starr, George Harrison et le producteur George Martin (tous deux encore vivants) ouvraient leurs archives.
Plus tard, en 2016, c’est Ron Howard qui, grâce à du matériel récupéré auprès de télévisions et de fans américains du groupe anglais, racontait les concerts, les tournées et la conquête de l’Amérique (Eight Days a Week – The Touring Years). En un mot, la «Beatlemania». Sous les cris, les pleurs et les évanouissements dans des salles surchauffées, quelques savoureux témoignages, dont ceux de Sigourney Weaver, Whoopi Goldberg et Phil Collins (avec des cheveux!), tous alors de jeunes adolescents piqués par le phénomène.
Cette année, c’est le célèbre réalisateur Peter Jackson qui va s’y coller, avec l’attendu Get Back, taillé pour faire l’évènement à partir du 25 novembre sur Disney+ (voir ci-contre). En attendant, par le biais de sa plateforme Hulu, le géant du divertissement propose une mise en bouche, beaucoup moins tapageuse celle-ci : McCartney 3,2,1, documentaire découpé en six épisodes de trente minutes, chacun et filmé en noir et blanc. L’important tient en effet ici dans la rencontre et la discussion libre, reléguant les archives (maigres) au second plan.
Paul McCartney, un jeune de bientôt 80 ans
Un face-à-face entre deux mythes : d’un côté, donc, l’un des deux «Fab Four» encore de ce monde, musicien et compositeur de génie qui conserve un enthousiasme juvénile et (presque) toute sa mémoire à bientôt 80 ans. De l’autre, Rick Rubin, gourou à la longue barbe et producteur plus connu dans le monde du hip-hop et du metal (il est le fondateur du label Def Jam Records et a collaboré, entre autres, avec les Beastie Boys, Run DMC, Slayer ou les Red Hot Chili Peppers). Entre les deux, une grande table de mixage à l’ancienne pour mieux savourer les masters originaux de divers enregistrements des Beatles. Et les décortiquer.
Sans souci de chronologie, et posé à la cool, le duo écoute et commente ainsi certaines chansons (dont de rares de McCartney en solo et des Wings), entre lesquelles se glissent invariablement des anecdotes. Le ton se veut tranquille, et les questions peu dérangeantes – Rick Rubin, les yeux émerveillés, lâche (trop) souvent des «amazing», «great» ou «incredible». Son idole, elle, qui se met régulièrement, sans se faire prier, à la guitare ou au piano, creuse dans ses souvenirs pour expliquer telle ou telle composition, l’écriture, les rencontres décisives, et l’expérimentation de tous les instants.
La chanson Michelle, inspirée de Milord de Piaf
C’est d’ailleurs ce qui fait toute la fraîcheur et la finesse de McCartney 3,2,1 : éviter la trop grande analyse d’une œuvre déjà largement disséquée, et laisser la surprise naître du badinage entre deux passionnés. «On écoute un peu de musique?», lâche ainsi, dès l’entame, Rick Rubin, comme s’il proposait à un copain de prêter l’oreille aux derniers vinyles qu’il a achetés. Trois heures durant, debout à côté de la console, remuant de la tête ou jouant un instrument imaginaire, le tandem se laisse aller au jeu, avec authenticité et espièglerie.
Ce retour près de 60 ans en arrière n’oublie pas de sortir quelques histoires croustillantes – les rencontres avec Georges Harisson et Ringo Starr, la bouleversante découverte de Fela Kuti en live ou encore comment John Lennon et Paul McCartney se taquinaient à l’occasion, s’insultant de «quatre yeux» pour l’un et de «torse de pigeon» pour l’autre. Mais la discussion tourne surtout autour du processus de création. «Il y avait toujours une chanson dans la tête à écrire», raconte le Beatles, avant de préciser : «J’ai passé ma vie a essayé d’attraper une jolie mélodie.»
Au rythme «d’un album et quatre single par an», il y a de quoi en dire sur une discographie sans pareille : ainsi, on apprend que la chanson Michelle était inspirée de Milord de Piaf et Dear Prudence par la sœur de Mia Farrow; l’impact «énorme» des Everly Brothers sur les harmonies vocales; l’histoire de la note impossible sur le solo de trompette de Penny Lane; l’air «rêvé» de Yesterday, les expériences en studio avec Robert Moog et son synthétiseur de haute technologie, sans oublier d’autres clins d’œil plus personnels, comme le traumatisme, lors d’un concert à Liverpool, qui fit passer McCartney de la guitare à la basse.
Sgt Pepper, l’album préféré… des chiens
Mais McCartney 3,2,1 ramène surtout à une autre époque en compagnie de cette bande de «canailles, stupides, impertinents et ambitieux», qui n’écrivait pas la musique mais la gardait en mémoire pour la mettre sur bande aussitôt. «À chaque session, il y avait une chanson d’enregistrée», témoigne-t-il, devant un Rick Rubin emballé. Il poursuit : «Pour nous, le pire, c’était de s’ennuyer», expliquant que le succès des premières années leur a donné «plus de temps et de liberté» pour se perdre dans la création, s’y aventurer tels des explorateurs.
En guise de «professeur», ils ont pu compter sur George Martin, producteur tout aussi génial, jamais effrayé à l’idée de faire venir un orchestre symphonique, à placer un ultrason au cœur de Sgt Pepper que seul «les chiens peuvent entendre», à enregistrer des pistes à l’envers ou en demi-vitesse (ce qui a permis à George Harrison de faire son solo de guitare dans A Hard Day’s Night). Mais l’exercice, jamais bien loin de l’éloge, peut aussi tourner à l’embûche comme lorsque Paul McCartney entend sa voix complément fausse dans Lucy in the Sky with Diamonds. «C’est pour ça qu’il ne faut pas fouiller dans les bandes!», lâche-t-il dans une moue. Un point de vue qui se discute.
McCartney 3,2,1, de Zachary Heinzerling.
Disney+.
C’est pour ça qu’il ne faut pas fouiller dans les bandes!
«La bombe» promise par Peter Jackson
Dans une vidéo d’à peine plus de cinq minutes, le réalisateur lauréat de trois Oscars laisse parler les images, précisant toutefois que ce petit film, mis en ligne sur Disney+, n’est «ni une bande-annonce, ni une séquence», mais un «avant-goût» pour mieux saisir l’esprit de sa production – qui prendra finalement la forme d’une minisérie. Compilant de plus des 60 heures d’images inédites, elle montrera l’enthousiasme, la camaraderie et le génie créatif d’un quatuor devenu iconique.
Ce matériel jamais montré, «de la bombe!», lâche le Néo-Zélandais, vient de Michael Lindsay-Hogg, qui comptait, en 1970, réaliser un documentaire devant accompagner l’album Let It Be, le dernier des Beatles. Il les filme alors en train de composer et jouer en studio, et lors du concert-surprise du groupe, donné en janvier 1969 sur le toit de l’immeuble londonien de leur maison de disques – qui sera pour la première fois montré dans son intégralité.
Mais l’intérêt de Get Back, en tout cas dans ces premières images dévoilées, tient à l’ambiance et à l’humeur générales. L’Histoire retient jusqu’alors que les Fab Four se sont séparés dans un champ de ruines. La vidéo montre tout autre chose : on y voit les Beatles rigoler, se bagarrer (pour de faux), danser… On y découvre même Yoko Ono et Linda McCartney, sans oublier un aperçu de la mode de l’époque (bonjour les costumes!). Nous aurait-on menti? Réponse fin novembre.
G. C.
Grégory Cimatti