Formé au début de ce siècle nouveau, Liars s’est toujours démarqué par son inventivité et son envie, chevillées au corps, de ne pas succomber aux sirènes de la popularité.
Il y avait pourtant de la place au cœur d’un Brooklyn agité, vitrine mondiale d’un rock qui trouvait alors un souffle rafraîchissant. Mais contrairement à ses pairs (Yeah Yeah Yeahs, The Strokes, Interpol), ce drôle de poisson aime nager à contre-courant. De toute façon, son étrangeté, ses artifices et son cynisme le tenaient à l’écart. Tant mieux, car le trio a pu avancer, durant de longues années, au gré de ses fantaisies.
En de multiples occasions, sur des albums marquants, le groupe est ainsi parti à la conquête de territoires sonores inédits, faits de rock, de new wave, d’électronique, de noise et de rythmiques sculptées au couteau, le tout enveloppé dans une ambiance hypnotique, perchée et, avouons-le, un peu malsaine. Avec une obsession en arrière-fond : celle de se réinventer, quitte à perdre son public en route. Ceux qui arrivent à suivre apprécieront ce sens de la remise en question, d’autant plus que le caméléon sait y faire avec une musique qui, si elle se veut savante, n’est jamais vraiment abstraite.
Mais voilà, en 2017, Angus Andrew a vu son compère de toujours quitter l’aventure – le cofondateur Aaron Hemphill. Il se retrouve alors seul aux commandes. Sur cette séparation, le dernier Liars debout a décidé de réagir, un brin déprimé, certes, comme quand il se met en scène sur la pochette de TFCF – premier disque post-divorce – vêtu d’une robe de mariée, et le regard perplexe devant un gros gâteau à la fraise… Un petit frère suivra (Titles with the Word Fountain, 2018), plus anonyme, poussif même. On se dit que la fin est proche, mais l’homme, planqué dans son Australie natale, a plus d’un tour dans son sac. Et des idées, comme toujours.
The Apple Drop, dixième album en date, ne tombe pas à côté de son sujet. Mieux, cet énième recommencement est une séduisante démonstration, sûrement parce qu’elle sort de jolis apparats : des cordes, du piano, un chant qui s’affirme et une écriture léchée. Pour ce faire, moins sauvage qu’à l’accoutumée, Angus Andrew s’est adjoint de nouveaux collaborateurs : le batteur de jazz Laurence Pike et le multi-instrumentiste Cameron Deyell. Mary Pearson Andrew, sa femme, l’a quant à elle aidé pour les paroles. Comme le suggère la pochette, du genre «Rencontres du troisième type», ici, il est question d’espace, de dimensions et de trous noirs, sûrement pour mieux parler de ce qui se passe en dessous, sur Terre, dans un pessimisme qui fait sens.
L’histoire de Liars n’est pas finie. Il se pourrait même qu’elle soit revigorée
Si cette œuvre aime les envolées, elle reste d’un classicisme étonnant pour un tel groupe, plutôt branché chaos. Mais rassurons-nous, toutes ces bonnes intentions sont passées à la sauce Liars, pour concocter un rock racé et sombre, assez avant-gardiste pour ne pas se fourvoyer. Pour situer un peu l’atmosphère, on est à mi-chemin entre la noirceur d’un Nick Cave et les visions chaotiques de John Carpenter. Aussi, afin de rappeler que rien ne se crée, mais que tout se transforme, Angus Andrew fait écho par ses choix musicaux et sa production, aux anciens albums (dont Mess), rappelant au passage que l’histoire de Liars n’est pas finie. Il se pourrait même qu’elle soit revigorée.
Grégory Cimatti
Liars
The Apple Drop
Sorti le 6 août
Label Mute
Genre rock / electro / expérimental