Principales victimes des explosions, les pompiers recrutés par le port de Tianjin étaient de très jeunes hommes ayant fui la pauvreté des campagnes: malgré les dangers, une formation insuffisante et un statut de « seconde classe », ils étaient persuadés d’avoir trouvé le « meilleur emploi possible ».
Fils unique d’un couple d’agriculteurs démunis, Yang Weigang n’avait jamais rêvé de devenir sapeur-pompier. Il l’est devenu par hasard, y trouvant moins une vocation qu’un moyen de mieux gagner sa vie. Le jeune homme de 24 ans faisait partie des premiers pompiers à intervenir, le 12 août, pour éteindre un incendie dans un entrepôt de produits chimiques sur le port de Tianjin (nord de la Chine).
Alors que plusieurs dizaines de pompiers s’efforçaient de contenir les flammes, arrosant d’eau des stocks de composants toxiques dont ils ignoraient la nature, deux gigantesques explosions se sont succédées, dévastant le site industriel, transformé en brasier. Yang Weigang est depuis porté disparu, comme 47 autres pompiers. Sur les 114 personnes ayant trouvé la mort dans le désastre, 56 étaient des soldats du feu.
« On ne trouve pas de boulot dans notre village. Quand un ami de Weigang lui a dit que le port recrutait des pompiers, il a pensé que c’était le meilleur emploi qu’il pouvait trouver », a expliqué son père, Yang Jie. Les pompiers en Chine se divisent en trois catégories: ceux directement employés par le ministère de la Sécurité publique, ceux dépendant des gouvernements locaux… et ceux recrutés par les entreprises aux activités à risque.
L’écrasante majorité des 130 000 pompiers du pays (chiffre dérisoire à l’échelle de la Chine) appartient à cette troisième catégorie, selon les données officielles. C’était le cas des pompiers du port de Tianjin. Ces soldats du feu sous contrat sont surtout des migrants venus des campagnes, pauvres et jeunes (parfois même mineurs), et dont l’expérience professionnelle reste souvent limitée, sur fond de renouvellement rapide des personnels des brigades.
Ce manque chronique de professionnalisme a été pointé pour tenter d’expliquer la catastrophe de Tianjin: l’eau versée dans l’entrepôt aurait pu contribuer, par réaction chimique, à provoquer les déflagrations en libérant des gaz hautement inflammables.
Chez les Yang, basés dans la province voisine du Hebei et cultivateurs de génération en génération, Weigang a été le premier à quitter le village. Soldat pendant quatre ans, il a ensuite rejoint les pompiers de Tianjin pour un salaire mensuel d’environ 3.500 yuans (494 euros)… double de ce que gagne son père. Les fils de dix autres familles de la même région, également sans grande éducation, l’ont imité, explique M. Yang. Et ce malgré les discriminations que subissent en ville les travailleurs migrants, considérés comme citoyens de deuxième classe, faute de permis de résidence.
A Tianjin, Weigang avait reçu une formation des plus réduites: joggings matinaux, brève introduction à la façon d’utiliser les équipements, et manuel à étudier soi-même, raconte Yang Jie. « Il avait une petite amie, on espérait qu’il nous donnerait un petit-enfant », se désole-t-il.
Le lourd tribut payé par les pompiers de Tianjin a provoqué une amère prise de conscience sur les réseaux sociaux nationaux. « On ne devrait pas envoyer des gamins de 17 ou 18 ans au casse-pipe », relevait un internaute. Un autre s’interrogeait: « Au prochain désastre, enverra-t-on de vrais professionnels ou des gamins en première ligne? ».
Les autorités s’efforçaient elles d’étouffer ces critiques, sous prétexte de ne pas dénigrer les pompiers morts en héros. « N’enfoncez pas le fer dans la plaie », tempêtait Zhou Tian, chef des pompiers municipaux. Le jeune Liu Zhiqiao était également parmi les soldats du feu arrivés tôt sur place. Sur les 25 membres de sa brigade, l’un est confirmé mort et 24 restent portés disparus. « Je n’abandonne pourtant pas espoir », soupire sa mère, Mme Yang. « J’ai été dans tous les hôpitaux, impossible de le trouver. Et le gouvernement ne nous dit absolument rien. »
AFP