Recordman du monde dans sa catégorie (F63), le Luxembourgeois compte bien décrocher une médaille au lancer du poids lors des Jeux paralympiques.
Chemise blanche, veste de costume bleu marine, cravate rouge assortie à ses baskets, Tom Habscheid avait fière allure, mardi, lors de la cérémonie d’ouverture des 16es Jeux paralympiques. Malgré le port du masque, rendu obligatoire en raison de la crise sanitaire, l’on devine son émotion à travers ce regard quelque peu perdu. Comme ne sachant pas vraiment où le diriger. «C’était vraiment un grand honneur, mais c’est bizarre de défiler dans un stade vide…» Sans public, à quoi pensait-il lors de son tour d’honneur? «À une seule chose : ne laisse pas tomber le drapeau!»
Droit et fier, le lanceur de poids tient fermement l’étendard de ses deux mains. Son handicap est, de prime abord, difficilement perceptible. Seule sa démarche un brin saccadée et un pli dans son pantalon beige laissent deviner cette absence de fémur. Cette malformation congénitale ne l’a jamais empêché de vivre. L’adjectif «normalement» est inutile dans la mesure où le handicap est partout. Même durant ces Jeux où le recordman du monde en catégorie F63 (15,10 m) devra concourir, faute suffisant d’athlètes, dans une autre, en F42, où le Britannique Aled Davies, son principal adversaire, possède un record à… 15,97 m. «Ce n’est pas très fair-play, c’est vrai, consent le Luxembourgeois. Eux ont un handicap moindre.» Petite explication pour les néophytes : en F42, les athlètes souffrent d’une «limitation d’une jambe à un degré modéré». En F63, on retrouve les athlètes de la catégorie F42, mais aussi ceux chez lesquels on note «l’absence d’une jambe». «Pas grave, relativise Tom Habscheid, j’ai une bonne mobilité.»
Déchirer un annuaire, c’est un bon test de puissance
Le mouvement, secret d’une bonne dynamique, c’est ce qui a séduit Tom Habscheid un soir d’été 2012. Devant sa télé, il regarde les Jeux paralympiques de Londres, il assiste aux concours des lancers. Une révélation. «Bizarrement, ça m’a tout de suite attiré alors qu’a priori, au disque par exemple, la rotation fait qu’il y a quelque chose d’impensable. Mais voir que malgré le handicap, c’est possible de faire la même chose que des athlètes valides, bref d’être comme les autres, j’y ai vu un vrai challenge…» Une forme, peut-être, de revanche pour cet enfant qui aura goûté un peu à tout sans avoir pour autant le droit d’y mordre à pleines dents. «J’ai joué au football, par exemple, mais je n’ai pas pu avoir de licence. Et puis, ce n’est pas facile de réunir onze joueurs handicapés pour un match. Alors, un sport individuel comme l’athlétisme était la solution.» Et ce même s’il dût arrêter le lancer du disque faute de concurrents dans sa catégorie…
À Tokyo, Habscheid est l’unique représentant grand-ducal. Quel regard porte-t-il alors sur le handisport au Luxembourg? «On doit avoir 50 licenciés, toutes disciplines confondues, dont 9 en athlétisme au niveau mondial. Mais c’est dur de former des athlètes au haut niveau. De les conduire vers le professionnalisme.» Un statut qui, dans le cas de cet employé au Centre national de l’audiovisuel (CNA) de Dudelange, se traduit depuis deux ans par un contrat aménagé. «Avant, j’avais un contrat de 40 heures au CNA. Depuis septembre 2019, je travaille 20 heures au CNA, le reste du temps, je le consacre à mes entraînements.» Ce rythme, affirme-t-il, explique les 15,10 m réalisés aux Mondiaux-2019 organisés en novembre 2019 aux Émirats arabes unis. Avec cette performance, il aurait décroché la médaille d’argent à Rio en 2016. Le même métal conquis en juillet dernier aux championnats d’Europe à Bydgoszcz (Pologne) grâce à un lancer à 14,53 m qui, au Brésil, lui aurait permis, aussi, de grimper sur la deuxième marche du podium. À Tokyo, conscient qu’il ne boxe pas dans la même catégorie qu’Aled Davies, il visera «au minimum le podium».
Le 4 septembre, le lanceur de poids compte bien tout déchirer. Un peu à l’image de cet annuaire qu’il s’amusa, en mars 2020 durant le confinement, à broyer de ses propres mains devant la caméra. Un clin d’œil à Georges Christen, l’homme qui figure à 22 reprises dans le Livre Guiness des records? «Non, pas du tout, mon entraîneur (NDLR : Fernand Heintz) le faisait aussi. Déchirer un annuaire, c’est un bon test de puissance. Mais que voulez-vous, nous sommes des machines!»
Charles Michel