Il fume, boit, vole, couche et part en cavale. Le Cheikh hyperactif, nouveau héros du Finlandais Marko Turunen, a une vie spectaculaire. Mais l’auteur, qui adapte cette histoire vraie sous un angle psychédélique, s’attache aussi à en raconter les dessous.
Dans la Finlande d’aujourd’hui, le cheikh détonne. Vêtu d’un qamis et d’une coiffe traditionnels, lunettes de soleil d’aviateur toujours vissées sur le nez, il s’embarque dans un «road trip» sans fin, ponctué par des besoins peu communs et des péripéties délirantes : de la violence gratuite, beaucoup de sexe, et des journées qui se finissent invariablement par une arrestation ou un «black-out». Le cheikh n’est vraiment pas un personnage comme les autres, et la BD dont il est le héros, Le Cheikh hyperactif, a elle aussi quelque chose d’un ovni.
C’est que son auteur, Marko Turunen, n’est pas étranger aux univers excentriques, où les personnages humains côtoient normalement, mais contre toute rationalité, des humanoïdes à l’apparence animale ou aux physiques tirés d’une malle à jouets. Mais l’auteur finlandais avait pour habitude d’appliquer cet univers à des histoires autobiographiques, notamment dans une trilogie qui retraçait l’histoire de sa vie de couple avec une femme malade (L’Amour au dernier regard, 2004; Base, 2005; La Mort rôde ici, 2006) ou dans De la viande de chien au kilo (2009), récit du destin fragile de ses parents, à qui les violences, l’alcoolisme et la précarité ont empêché d’atteindre le bonheur. Avec Vies de Marko Turunen (2017), il livrait un autoportrait flamboyant construit à partir de ses propres expériences et de celles d’homonymes qu’il a rencontrés à travers le monde. Ces Vies ont été pour l’auteur une œuvre décisive, qui a amené Turunen à asseoir une vision définitive de son univers bigarré et à clore le – long – chapitre autobiographique de sa carrière.
Le cheikh est un peu comme un adolescent, bien qu’il ait plus de cinquante ans maintenant. J’avais l’impression de retourner à mon adolescence
Les premières pages de son nouveau récit le prouvent : le sourire aux lèvres, le cheikh gare sa voiture, tire une mallette de son coffre, en sort un pistolet, le charge et fait feu dans une école. Il y a dans Le Cheikh hyperactif une façon de rapprocher le spectaculaire et l’offensant qui est au cœur du trip hallucinogène de Marko Turunen. Les scènes de sexe en tout genre sont explicites, l’une des nombreuses conquêtes du cheikh est branchée scarification, toutes les femmes ont une poitrine démesurée et l’intrigue est peu avare en scènes d’action, parfois invraisemblables, parfois sanglantes, parfois les deux.
Une histoire d’autant plus abracadabrante que le fameux cheikh a existé! Le personnage est en tout cas basé sur un proche de l’auteur, qui l’a affublé de l’accoutrement extravagant de Tauno Kuosmanen, célèbre businessman finlandais ayant fait carrière dans le pétrole et apparaissant toujours sous un costume de cheikh. Tout est vrai, tout est faux. Dans ses pages aux dessins éblouissants et au maximum de deux cases par planche, Marko Turunen laisse des indices. Ses innombrables histoires d’un soir? Probables. Son passé de pickpocket? Possible. Mais est-il réellement parti en cavale en Suède avec sa petite amie? A-t-il véritablement échappé à la mort en pleine rue, face à une famille de gitans? Et pourquoi son appartement a-t-il été visé par une opération des services secrets russes?
Après 300 pages d’exploits rocambolesques et plus ou moins répréhensibles du cheikh, Turunen abandonne la couleur rose flashy prédominante pour un vert léger, moins psychédélique. L’auteur s’invite même dans la bande dessinée sous les traits d’Intrus, son alter ego extraterrestre dans ses œuvres autobiographiques, pour dévoiler la vraie nature de son héros. Une révélation qu’il mettra encore une cinquantaine de pages à expliquer, et qu’il serait malvenu de faire découvrir ici. Mais celle-ci donne au Cheikh hyperactif une profondeur impossible à anticiper et qui force le lecteur à remettre toute l’œuvre en perspective, voire de la reprendre depuis le début, sous un nouvel œil. Pour mieux apprécier le regard empathique et indulgent d’un auteur envers un personnage qui, derrière sa brutalité, cache des secrets. «Ses souffrances reflètent le monde qui l’entoure», déclarait Marko Turunen au sujet de «son» cheikh. «Avec lui, on ne sait pas ce qui relève du fantasme et ce qui est vrai.»
L’histoire
Un cheikh finlandais en habit traditionnel fuit à vélo, traqué par toutes les polices de Scandinavie. En plus de nombreux enfants non reconnus, le cheikh laisse derrière lui quantité de larcins : meurtres de sang-froid, vols de portefeuilles, d’alcool, lutte avec sa maîtresse ninja ou rixe avec un phacochère tueur à gages…
Valentin Maniglia
Le Cheikh hyperactif, de Marko Turunen. Frémok.