Un après la réélection controversée d’Alexandre Loukachenko à la tête du Bélarus, la situation ne s’est guère améliorée dans le pays. La militante Lali Maisuradze témoigne.
Le 10 août 2020, le président sortant Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, remporte avec 80% des voix un sixième mandat face à la candidate d’opposition Svetlana Tikhanovskaïa, aujourd’hui exilée en Lituanie, et qui remplaçait son mari incarcéré Sergueï Tikhanovski. Des milliers de manifestants sont alors régulièrement descendus dans la rue pour contester cette élection jugée frauduleuse. Mais la répression ne s’est pas faite attendre. Qu’en est-il un an plus tard ? Lali Maisuradze, originaire du Bélarus, vit depuis huit ans au Luxembourg. Elle continue d’alerter sur ce qui se passe dans son pays d’origine.
Quelle est la situation au Bélarus, tout juste un an après les élections ?
La situation a clairement empiré pour les habitants. D’une part, la population rencontre d’importantes difficultés financières, car les produits de consommation courante ont beaucoup augmenté, ce qui n’est évidemment pas le cas des salaires. Même si ces augmentations seront mises sur le dos des sanctions internationales, l’instabilité financière du Bélarus est uniquement la faute du gouvernement.
La liberté a encore pris un coup également. Par exemple, c’est devenu compliqué de se déplacer librement en-dehors des frontières du Bélarus. Le Bélarus a restreint les possibilités pour ses habitants de quitter le pays par voie terrestre (train, bus ou voiture personnelle) : vous n’êtes autorisé à quitter le pays par la route qu’une fois tous les six mois. Si vous voulez voyager plus souvent, il vous faut alors prendre l’avion, qui coûte extrêmement cher ! Un membre de ma famille par exemple travaille régulièrement en Lituanie. Il devait s’y rendre début juin puis début juillet. Le trajet en train prend trois heures, mais la deuxième fois, il a dû prendre l’avion, passant par Moscou, Helsinki, puis Vilnius ! Le voyage a duré une journée ! Et bien sûr, cela lui a coûté dix fois plus cher !
Pourquoi une telle mesure ?
Les autorités tentent de rendre difficile le fait de vivre en dehors du pays. Beaucoup de jeunes s’expatrient. J’ai personnellement deux amies qui sont parties s’installer à l’étranger. L’une d’entre elles craignait notamment que quelque chose de grave puisse lui arriver, car elle était administratrice au sein d’une organisation et a constaté que beaucoup de membres d’autres organisations ont été détenus, interrogés, leur maison a été fouillée. Elle a donc fui en Pologne avec mari et enfant. La nation ne va certes pas disparaître, mais ses meilleurs représentants vont s’en aller. Le pays va perdre ses cerveaux.
Loukachenko préfèrerait détruire le pays plutôt que perdre le pouvoir
Est-ce que la population continue de se mobiliser ?
Il n’y a pas de manifestations de masse. Les gens vivent dans la peur. Le régime a en effet commencé à enquêter sur tous ceux qui ont participé aux précédentes actions, a fouillé leur maison, réquisitionné certains de leurs biens. Les plus actifs avaient certains moyens, ils étaient par exemple patrons de petites entreprises. Eux ont eu la possibilité de s’échapper. C’est ce que la plupart a fait, en s’exilant en Ukraine notamment. Du coup, ceux qui sont restés n’ont eu d’autre choix que de se tenir tranquille, et les autres pensent que tout ce qui se passe est normal.
Comment réagissez-vous face à ce qui semble être une capitulation ? Vous-même êtes-vous toujours active ?
Je suis triste que les gens aient abandonné. S’ils avaient maintenu les grèves dans des grosses compagnies, les choses auraient peut-être pu bouger. Mais ils acceptent les salaires de misère : 120 euros, 250 euros pour quelqu’un d’expérimenté. Les Bélarusses blâment la communauté internationale de ne pas les aider, mais il faut aussi se battre à l’intérieur. Personnellement, je continue de tenter de mettre en lumière sur ce sujet. J’organise des meetings. Je ne veux pas abandonner. Je fais ce que je peux.
Êtes-vous satisfaite de la réponse de la communauté internationale et des sanctions prises ?
Je pense qu’ils font ce qu’ils peuvent. Les sanctions ont été durcies et le Bélarus est toujours à l’ordre du jour. Svetlana Tikhanovskaïa est d’ailleurs toujours très active et fait beaucoup pour que le Bélarus reste à l’agenda. À voir ce que cela va donner face aux dernières menaces de Loukachenko au sujet d’une Troisième guerre mondiale. Parfois, il faut le prendre au sérieux quand il parle de guerre. Il serait prêt à le faire. Il préfèrerait détruire le pays plutôt que perdre le pouvoir.
Entretien avec Tatiana Salvan
Sanctions
En réponse à l’élection jugée frauduleuse de Loukachenko et à la répression violente commise à l’encontre des manifestants, l’UE a progressivement imposé des mesures restrictives à l’encontre du Bélarus, comme le gel des avoirs de certaines personnes ou entités, ou l’interdiction de pénétrer sur le territoire européen. Des nouvelles sanctions économiques «ciblées» ont également été prises par l’UE suite à l’atterrissage forcé de l’avion pour arrêter le journaliste Roman Protassevich, le 23 mai dernier et aux violations des droits de l’homme dans le pays.
Le Royaume-Uni et les États-Unis ont également annoncé la semaine passée une volée de nouvelles sanctions contre des personnalités, entreprises et entités du Bélarus, élargies à plusieurs secteurs-clés de l’économie pour faire monter la pression sur le régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko.