Le ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP), est sous le feu des critiques après avoir proposé un impôt corona. Il maintient son idée, la défend et attend des alternatives tout en excluant déjà certaines pistes.
À combien s’élève aujourd’hui le montant total des aides versées par l’État dans le cadre de la pandémie? Comment se passe le remboursement du trop-plein perçu?
Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a chiffré les dépenses à 5 ou 6 milliards, toutes aides confondues, avec les dépenses directes pour le Haut-Commissariat à la protection nationale pour le ministère de la Santé, etc. Le trop-plein des aides versées au titre du chômage partiel, de l’ordre de 400 millions, est remboursé à 95 %. Nous avions une date pour le moratoire, mais nous faisons du cas par cas pour ne pas détruire les efforts fournis pour sauver les entreprises.
Quand vous avez proposé que l’État prenne en charge les salaires, au début de la pandémie, aviez-vous plus ou moins estimé les dépenses? Vos collègues du gouvernement ont-ils hésité?
Personne n’a hésité. Tout le monde avait conscience que si l’on ne le faisait pas, on allait tout droit à la catastrophe pour les entreprises et les salariés. Nous avons eu quelques discussions techniques, mais on s’est très vite mis d’accord. Il était impossible de chiffrer les dépenses qu’entraînerait une telle décision, on se lançait dans l’inconnu. Mais cette décision m’a donné des nuits blanches, car on ne savait pas combien de temps ça allait durer, et on courait aussi le risque du non-remboursement du trop-perçu. J’avais dit au gouvernement que je jouais mon avenir politique. Je savais très bien qu’en cas d’échec concernant les remboursements, la situation aurait été très difficile pour le ministre du Travail que je suis. Il n’y avait pourtant pas d’autre solution, il fallait le faire.
Pour renflouer les caisses de l’État, vous proposez aujourd’hui un très controversé impôt corona pour les entreprises qui ont gagné de l’argent pendant la crise. Comment voulez-vous l’introduire, pour qui par exemple?
Il faut le définir pour ceux qui ont gagné au-dessus de la moyenne pendant la crise ou même grâce à la crise. Il y en a qui ont gagné de l’argent à cause de la crise et d’autres grâce à elle, comme les grandes surfaces qui ont explosé leurs chiffres ou encore Cargolux, par exemple. Je pourrais citer les laboratoires, certaines banques d’affaires, alors que d’autres institutions financières prenaient de grandes responsabilités pendant la crise. Il faut aller chercher aussi du côté de l’immobilier. Le gouvernement a aidé les entreprises à supporter leurs coûts extraordinaires dans lesquels figuraient aussi les loyers. Je ne vois pas d’autre alternative que celle de faire payer ces entreprises-là. Il est exclu pour les socialistes de faire payer les particuliers, d’autant que la réforme fiscale ne pourra pas s’opérer comme prévu, mais avec du retard sur le calendrier. Ensuite, on a versé beaucoup d’argent pour sauver des entreprises en difficulté, donc on ne va pas leur augmenter les impôts non plus. Combler ce trou avec un emprunt, c’est exclu aussi, car la prochaine génération n’a pas à payer ces dépenses. Je ne suis pas contre les emprunts, mais pas pour combler un trou qui nous provient de la crise sanitaire. Un emprunt, c’est pour des projets d’avenir, des infrastructures comme les écoles, les hôpitaux. Il ne reste plus qu’à aller chercher l’argent chez ceux qui ont gagné pendant la crise sanitaire. On parle d’un impôt supplémentaire.
Comment voulez-vous le mettre en place?
Actuellement, le taux est très bas et je propose de l’augmenter selon un calcul simple. Il s’agit de comparer la moyenne des bénéfices entre 2015 et 2019 avec celle des bénéfices réalisés entre 2020 et 2021. Si une hausse de plus de 10 % est constatée, on pourrait par exemple imaginer appliquer à l’entreprise un supplément de 5 ou 10 %, voire 20 %, d’impôts. Je veux discuter sur le principe de l’équité d’impôt. On me dit que techniquement ce n’est pas faisable, alors voilà, je donne un exemple pour répondre à la critique. Mais d’abord, il faut être clair sur le principe.
Vous êtes un peu seul au gouvernement pour défendre cette idée…
Ce n’est pas la première fois que je suis bien seul (il rit). Plus sérieusement, je ne le vois pas comme ça. J’ai lu avec intérêt la position de la Chambre des fonctionnaires et employés publics, qui a dit que c’était une idée difficilement réalisable, mais pas mauvaise sur le principe. L’UEL a pris une position différenciée, elle n’a pas refusé toute discussion sur le sujet. Je voudrais ajouter quand même que je ne suis pas tout seul, j’ai un parti derrière moi, ce qui n’est pas négligeable. Au sein du Conseil de gouvernement, Il y a les sensibilités politiques et je suis le capitaine de l’équipe socialiste. Tout le monde défend son programme. Nous sommes trois partis indépendants avec leurs propres idées et je vois des positions différentes entre le DP et le LSAP mais aussi entre les verts et DP ou entre le LSAP et les verts. Mais cela fait huit ans que nous gouvernons ensemble et je suis d’avis que cela nous réussit assez bien. Nous sommes en mesure de présenter un bon bilan, même en pleine pandémie.
La bataille que vous devrez mener pour cet impôt corona se situe au sein du gouvernement, non?
Non, ça c’est trop simple. Ce n’est pas seulement l’actuelle coalition, mais bien tous les partis qui doivent dire au pays comment ils s’imaginent sortir de la crise. Ce ne sont pas seulement les partis au pouvoir qui sont concernés, mais bien tous les partis politiques. Qu’ils viennent proposer leurs solutions, je suis ouvert à la discussion.
Quelles autres alternatives ont été émises au sein du gouvernement?
On est en pleine discussion. Je ne dis pas que l’impôt corona soit la seule solution, mais j’ai déjà exclu certaines pistes, comme je l’ai déjà précisé. Si on se met déjà d’accord sur ces exclusions, on doit alors trouver d’autres solutions. Aucun parti ne peut faire en sorte que le problème n’existe pas. Nous avons un gros trou dans les finances publiques que nous devons combler. Les seuls qui ont proposé autre chose, ce sont les libéraux qui comptent sur la croissance. J’attends la réaction d’un parti comme le CSV qui nous répète inlassablement qu’il faut freiner la croissance. Les autres partis n’ont pas encore fait de propositions, ils se sont contentés de dire que mon idée n’était pas bonne. Je veux bien, d’accord, mais alors quoi d’autre?
Les indépendants plaident en faveur d’une réflexion concernant leur protection sociale qui devrait être prise en charge par l’État. Étudiez-vous la question ou est-ce d’ores et déjà exclu?
Pour le moment, on analyse la proposition commune de la Chambre de commerce et de la Chambre des métiers. Certains éléments sont déjà repris dans le programme de coalition et le reste doit être discuté. Je suis toujours favorable à ce que personne ne tombe sous le seuil de pauvreté, mais si on veut l’équité, il faut trouver un équilibre. Pour ce fameux traitement de remplacement, le gouvernement a fait une proposition qui est toujours d’actualité. Dans le régime du chômage, il y a des désavantages pour les indépendants, mais il y a aussi des avantages. Il y a une mutualité des indépendants qui intervient en cas de maladie et on a proposé d’élargir ce moyen pour ce revenu de remplacement.
Justement, ils refusent de cotiser à une nouvelle mutuelle…
Le principe d’une mutualité, c’est la solidarité. En plus, je voudrais rappeler que l’État comble les déficits de la Mutualité des employeurs, donc participe déjà à leur protection sociale. Nous proposions le même système, une part payée par les entreprises et l’autre par l’État, mais ils ont refusé cette discussion estimant que l’État devait tout financer. Je pense qu’ils ont refusé car beaucoup ne sont pas intéressés par cette assurance. Les banques ne veulent pas payer plus pour garantir un revenu de remplacement aux petits commerçants. Pour moi, c’est une question de solidarité du monde économique. On avait déjà donné notre accord pour discuter de cette question et le gouvernement était disposé à participer à cette mutuelle, à prendre ses responsabilités. Mais la discussion s’est arrêtée tout net. Si les indépendants veulent la relancer, je suis prêt, mais c’est l’idée du gouvernement que je défends. Il y a une proposition sur la table et le gouvernement est prêt à prendre ses responsabilités financières, comme je le disais, mais il faut un apport de la part des entreprises, c’est normal. C’est trop simple de dire que l’État doit tout garantir aux indépendants. Il faut trouver des solutions raisonnables.
Trouver des solutions raisonnables, c’est votre domaine, on vous dit fin négociateur…
Pour avoir des discussions qui portent leurs fruits, il faut moins d’idéologie et plus de pragmatisme, comme je l’ai toujours dit.
Dan Kersch n’est pas un idéologue?
Ce sont les autres qui me disent idéologue. Je suis aussi le défenseur des deniers publics.
Êtes-vous un ministre du Travail heureux?
Le marché du travail se porte mieux qu’ailleurs avec un secteur des services qui se développe bien. De toute façon, si la situation est mauvaise, c’est à cause du ministre du Travail et si elle est bonne, c’est grâce à l’économie. Disons que les chiffres sont satisfaisants, car il y a une augmentation du chômage à 5,7 % par rapport aux 5,2 % d’avant la crise.
Pensez-vous déjà à la campagne électorale, comme d’aucuns vous l’ont reproché, en proposant cet impôt corona?
Les prochaines élections sont encore loin. Pour le moment, il reste du pain sur la planche au niveau de la réalisation du programme de coalition. Parallèlement, je crois qu’en situation de crise, les gens ont le droit de savoir ce que les partis proposent pour se sortir de la crise sanitaire, mais aussi économique et sociale qui risque de nous toucher. Je suis certain que l’on va assister à une politisation de notre vie sociétale.
« Paulette Lenert est un cadeau pour le pays et pour mon parti, elle est formidable »
C’est-à-dire?
En temps normal, les gens se rendent aux urnes et après ne veulent plus entendre parler de politique jusqu’à la prochaine échéance. Ils ont accordé leur confiance à des politiques et veulent avoir la paix ensuite, c’est un peu la mentalité luxembourgeoise. Mais maintenant, ils se sentent plus concernés et se posent des questions sur l’avenir qui est plus incertain. Le rôle des partis est de les rassurer et de répondre aux questions qu’ils se posent. C’est une situation différente et les gens doivent savoir pour quelles idées un parti penche et milite.
Paulette Lenert, la ministre de la Santé, devenue la coqueluche du pays, est une des recrues sur laquelle vous avez parié. Vous en êtes fier?
C’est un cadeau pour le pays, pour la politique et pour mon parti. Il n’y a rien à ajouter, elle a fait ses preuves à tous les niveaux. Les gens la connaissent, savent son ouverture d’esprit. Elle est formidable.
Une future Première ministre?
Bien sûr!
Entretien réalisé par Geneviève Montaigu