On a retenu les chiffres record, les millions d’euros de dégâts. Les images fortes aussi : Echternach noyée, le Grund sous la boue… Moi j’ai retenu leurs visages. L’expression de ces gens qui ont eu la trouille de leur vie. Les larmes de ces hommes, ces femmes, qui ont tout perdu et qui doivent trouver la force de reprendre le cours de leur vie. Ceux que j’ai croisés ces dernières semaines en reportage.
Je suis retournée à Echternach. Les rues ont été soigneusement nettoyées et sont fin prêtes pour les posts Instagram des touristes. Les tas de déchets ont été amenés à la décharge. Peu à peu, «la vie reprend», selon la formule consacrée. Mais pour qui au juste ? Certainement pas pour ces familles qui ont dû abandonner leur foyer et vivent maintenant dans un logement d’urgence ou chez des proches. Pas non plus pour ceux qui ont dû faire une croix sur leur outil de travail, définitive ou temporaire. Eux ont vu les flots se retirer en emportant une part d’eux-mêmes et ce traumatisme-là ne s’efface pas d’un coup de jet à haute pression. Ça, c’est bon pour les pavés.
Alors qu’un mois s’est écoulé, ce restaurateur qui a vu son établissement totalement ravagé avoue ainsi être toujours incapable d’en parler. Chaque mot ravivant la douleur. Une plaie psychique, invisible, que seuls ceux qui traversent cette même épreuve sont capables de déceler.
Comme cette artiste, dont l’atelier de création et la maison ont été envahis par la rivière, et qui jetait ses dernières forces dans la bataille pour sauver ce qui pouvait l’être. Ou ce commerçant, dont une vie de travail a été réduite à néant et qui voit aujourd’hui le retour des clients dans sa rue chérie comme une fête à laquelle il n’est pas invité. Il parle d’un sentiment de solitude qui ne le quitte plus : l’un des symptômes de cette expérience traumatisante.
Alors non, pour tous ces gens, la vie n’a pas «repris». Mais ça viendra. C’est juste que, contrairement aux pierres, la reconstruction des âmes nécessite infiniment plus de temps.
Christelle Brucker