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MLF, les initiales d’un gentleman


Michel Leflochmoan, c’était un sourire constant qui emportait l’adhésion. (archives Mélanie Maps)

Michel Leflochmoan, le coach le plus prolifique du pays au XXIe siècle, s’est éteint mardi à l’âge de 69 ans des suites d’une longue maladie. Le foot luxembourgeois dans son intégralité le pleure.

L’interview qu’il avait donnée au Quotidien, en septembre 2019, avait ému énormément de monde au Luxembourg. Michel Leflochmoan, 67 ans, y officialisait ce qui se savait depuis plusieurs mois : sa maladie. Avec ses mots à lui, c’est-à-dire avec une élégance jamais prise en défaut et cet humour modeste qui le caractérisait : «Vous me connaissez, j’ai toujours été quelqu’un de positif mais voilà, je vais jouer un match que je ne gagnerai pas. Mais on peut essayer de gagner du temps. C’est frustrant parce que je vais devoir faire ce que je n’ai jamais fait en tant que coach : essayer de faire traîner, jouer les prolongations voire, si possible, aller aux tirs au but.» Son match a pris fin mardi, à l’âge de 69 ans.

Voilà deux ans donc, il nous avait confié s’être fait retirer «65% du foie. Plus, ce n’est pas possible.» De loin en loin, il disait parfois se sentir fatigué, parfois reprendre du poil de la bête. Mais toujours, avouait regretter de ne pas pouvoir quitter ses Ardennes pour venir voir du foot au Grand-Duché. L’ancien coach de la Jeunesse, du F91 et de Differdange, allait cependant mal depuis début juillet. Il ne voulait pourtant pas que ça se sache. Son état se dégradait et il avait expressément demandé à quelques proches de n’officialiser la nouvelle de sa disparition qu’une fois son enterrement passé. Il avait sans doute mésestimé l’aura dont il jouissait, le nombre de personnes qui, directement ou pas, prenaient de ses nouvelles. Elles sont aujourd’hui nombreuses à vouloir lui rendre un dernier hommage mais les informations relatives à ses obsèques ne filtrent pas.

On vient de perdre le plus grand coach de l’histoire du pays

Gordon Braun, par exemple, essaye de se renseigner. «Je veux aller à son enterrement, c’est la moindre des choses que je puisse faire pour lui. Il a marqué le pays autant par sa personnalité que par ses compétences footballistiques», souffle l’ancien attaquant de la Jeunesse, champion avec le technicien français, en 2004. L’humain avant le technicien. Tous ceux que le Quotidien a joint hier en sont revenus à ce constat. Avant d’être un entraîneur hors pair, MLF était avant tout une personne en or et c’est même ce qui le qualifiait pour diriger les effectifs de clubs amenés à faire de grandes choses.

«C’est l’une de mes plus grandes tristesses», s’est étranglé Thomas Gruszczynski, l’un de ses joueurs emblématiques au F91. «Cet homme extraordinaire était mon tonton. Je l’appelais comme ça en tout cas. Il en a chié avec moi parce que je n’étais ni un attaquant ni un homme facile. Un jour, il ne me fait pas jouer. Je lui en voulais tellement que le lendemain, je ne lui ai pas serré la main. Et toute la semaine à l’entraînement, j’ai fait preuve de nonchalance pour lui faire comprendre que je lui en voulais. Je tirais même mes penalties en Panenka. Du coup, il me convoque dans son bureau. Il y avait tout sons staff dans son dos. On a eu une discussion entre hommes et le week-end d’après… il me titularise. C’était ça Michel Leflochmoan. De la haine et, tout de suite après, de l’amour. On a un groupe des anciens Dudelangeois sur Messenger. Vous verriez ça… En fait, on en est tous à le remercier de tout ce qu’il a fait pour nous sur le terrain mais aussi et surtout en dehors.»

Gordon Braun l’a connu aussi, ce MLF du F91. Après le titre à la Frontière. Et lui aussi peut attester des hautes qualités humaines du bonhomme. «On était dans un contexte totalement différent, moins familial, plus compétitif. Pourtant, il était resté exactement le même.» Soluble partout, Michel Leflochmoan. Et pourtant toujours compétitif. C’est ce que relève Romain Schumacher, qui a été son président au F91. «Michel avait un art de la gestion incroyable. Il a fait progresser tout le Luxembourg parce qu’il le respectait. C’est le seul entraîneur professionnel qui soit arrivé ici et qui ait compris les spécificités locales, ait respecté les gens, ait gardé cette politesse, cette humanité, ait attiré les gens vers sa vision des choses pour les faire progresser. On vient de perdre le plus grand coach de l’histoire du pays.»

Il ne commandait pas, il gérait

Romain Schumacher n’était pas le seul à le penser. Alors qu’il était déjà malade, MLF avait refusé trois offres de clubs grand-ducaux depuis 2018. Lui-même cultivait son aura, à distance, de façon jamais trop ostentatoire. Un exemple? Quand le F91 avait accédé, pour la première fois de l’histoire du pays, à la phase de groupes de l’Europa League, il avait envoyé un message à ses anciens dirigeants en s’invitant à la fête : «Peut-être que 1% du parcours m’est imputable. Peut-être ai-je ouvert des voies.» Ce n’est pas forcément une vision de l’esprit. MLF, en douze années de présence au pays, a défriché, lui qui se rappelait avec effroi de «ce qu’on disait du Grand-Duché en Belgique à la fin des années 90».

Si on a arrêté de se moquer du Luxembourg, de l’autre côté de la frontière, on le lui doit, un petit peu. Beaucoup même. Et peu importe les chemins qu’il a empruntés. Notamment quand il est passé au F91 après une seule année victorieuse à la Frontière, avec la Vieille Dame. «Personne n’a compris quand je suis parti à Dudelange», a admis Leflochmoan. Il avait raison. Gordon Braun l’a confirmé : «On était tous choqués, à la Jeunesse, quand il nous a annoncé son départ. Je me souviens même avoir vu beaucoup de coéquipiers les larmes aux yeux. Ce souvenir reste gravé. Il dit tout. Il est arrivé, il nous a fait jouer pour la première fois dans une défense à quatre alors qu’il y avait des mecs installés avant, avec libéro et tout. Des gars qui avaient une personnalité. Des Jean Wagner, des Marc Lamborelle. Il a imposé aussi les séances le samedi matin. Ce n’était pas une révolution parce qu’il avait fait en sorte qu’on le suive. Il ne commandait pas. Il gérait. Il avait ses idées et les faisait aboutir sans que quiconque n’aille contre lui. Dans ces conditions, on était repartis pour empiler plein de titres. Et puis il nous a quittés. Sur le coup, je n’ai pas compris. Après, j’ai saisi quelle opportunité lui offrait le F91.» En fait, depuis hier, tout le monde comprend quelle opportunité. Michel Leflochmoan a offert au Grand-Duché. Et non l’inverse.

Julien Mollereau

Il était le deuxième coach le plus titré du pays

Michel Leflochmoan a laissé des souvenirs sportifs forts partout où il est passé. C’est lui qui a fait remonter le CS Sedan-Ardennes en D2 française en 1991, c’est lui qui a fait accéder l’Excelsior Virton pour la première fois à la D2 belge, en 2001. Puis ce fut le Grand-Duché. Et un coup de maître, d’entrée : il remporte le titre de champion du Luxembourg avec la Jeunesse Esch en 2004. Qu’il quitte pour le F91 et une série folle : cinq titres à la suite entre 2005 et 2009. Avec le club dudelangeois, il fera quatre doublés en 2006, 2007, 2009 et… 2016, pour son un bref retour au stade Jos-Nosbaum et une dernière saison d’entraîneur magistralement réussie. Si l’on inclut la Coupe de Luxembourg remportée avec Differdange en 2014, il aura remporté la bagatelle de sept titres de champion et 5 Coupes. Un peu moins bien que le recordman en la matière, Alex Pecqueur, qui a glané avec l’Union et la Jeunesse l’équivalent de dix titres et quatre Coupes.

Mais Michel Leflochmoan restera aussi comme l’homme de quelques belles aventures européennes. Celle notamment qui l’avait vu aller chercher une qualification en Bosnie, contre le Zrinjski Mostar, en 2005, au 1er tour de la Ligue des champions, ce qui était une première depuis longtemps. Il y aura aussi l’exploit d’Utrecht, en 2013 avec Differdange (match nul 3-3 aux Pays-Bas après un succès 2-1 à l’aller), qui avait failli accoucher d’un exploit majuscule : au 3e tour de l’Europa league, le FCD03 avait été battu aux tirs au but par Tromso, les Norvégiens se qualifiant sur tapis vert en barrages : «Si Philippe Lebresne n’avait pas raté son penalty, on aurait été en poules et on aurait affronté Tottenham, mais ça, les gens l’ont déjà oublié !», nous disait-il en 2019. Une des rares petites déceptions d’une carrière exemplaire.