C’est le portrait d’un lutteur pas comme les autres : L’Incroyable Andy Kaufman (éditions La Pastèque) raconte le parcours de l’humoriste dans le monde du catch. Un ouvrage tendre et passionné.
Le monde musclé du catch a toujours été entouré de non-dits. L’un d’eux, en particulier, n’est pas partagé par les professionnels du ring mais par les spectateurs : une volonté, l’espace de quelques heures, de retomber en enfance, les yeux écarquillés devant des prises spectaculaires et des embrouilles élaborées entre ces gladiateurs aux costumes flamboyants. Mais au début des années 1980, un adulte a réalisé son rêve d’enfance, dynamitant par la même occasion ce petit monde aux secrets bien gardés : Andy Kaufman, comique de génie, célèbre notamment pour ses apparitions dans l’émission Saturday Night Live et son rôle récurrent dans la sitcom Taxi. Réputé – et craint – pour son humour turbulent et imprévisible, une forme unique d’antihumour, Kaufman avait décidé de devenir, en parallèle de sa carrière devant les caméras télé et sur les planches, un catcheur professionnel, s’autoproclamant «champion du monde mixte». Un titre qu’il a gardé jusqu’à sa mort prématurée, en 1984.
«Est-ce que ce mec est sérieux ?»
Document sans aucun doute définitif sur la vie d’Andy Kaufman, le long métrage de Milos Forman Man on the Moon (1999), dans lequel le comique est interprété par l’acteur Jim Carrey, présentait l’aventure comme une nouvelle blague douteuse de celui qui brouillait les pistes entre la réalité et la mise en scène. Le dessinateur américain Box Brown a pris la responsabilité de rétablir la vérité complète sur l’histoire du «champion» Kaufman. Une blague, c’en était pourtant une, à sa manière : en démarrant dans la lutte, déjà avec sa ceinture, Kaufman s’était destiné à combattre uniquement des femmes, qu’il provoquait à l’aide d’insultes sexistes. Mais la relation de l’humoriste au catch est plus profonde que la caricature de spectacle qu’il a proposée au public américain. Is This Guy for Real ? («Est-ce que ce mec est sérieux ?») : la question est posée dans le titre original du livre, paru en 2018 aux États-Unis et proposé aujourd’hui dans sa traduction française chez l’éditeur montréalais La Pastèque. La réponse, tout en nuances, se trouve dans une zone grise quelque part entre le oui et le non.
Dans les premières pages de L’Incroyable Andy Kaufman, Box Brown montre le jeune Andy assis en tailleur devant la télévision. Il zappe entre le dessin animé Mighty Mouse, un film avec Elvis Presley et un combat de Buddy Rogers – catcheur star des années 1950 et 1960 –, trois programmes qui deviendront décisifs dans la vie de Kaufman et qui le poursuivront durant toute sa carrière. C’est la clef pour comprendre le personnage : adulte, il reproduit ce qui l’impressionnait enfant. Ses imitations d’Elvis n’étaient pas caricaturales; le «King» lui-même, peu de temps avant sa mort, dit même de Kaufman qu’il était son meilleur imitateur. Si Andy Kaufman était si radical et jusqu’au-boutiste, c’est qu’il était guidé par la passion et l’envie de se hisser à la hauteur de ses idoles, stars du rock ou du ring.
Guidé par l’enthousiasme
Raconter la vie d’Andy Kaufman aurait nécessité bien plus que ces 250 pages. C’est pourquoi Box Brown, déjà auteur d’André le géant, biographie dessinée du catcheur français André Roussimoff, se concentre sur ses deux années de défis, de combats et d’incidents télévisuels. Le tout, en exposant à la fois l’endroit et l’envers du décor, dans une industrie qui, à l’époque, gardait encore jalousement les secrets de fabrication du catch. Fin connaisseur de la chose, Box Brown a reçu l’aide de journalistes spécialisés qui ont couvert les combats de Kaufman, ainsi que du frère de l’humoriste, Michael, et de son plus fidèle collaborateur, Bob Zmuda. Et retrace une épopée provocatrice et drôle, où le trait simple fait écho à l’émotion qui infuse tout au long de l’ouvrage.
Depuis ses premiers combats mixtes jusqu’à ses adieux – à demi-mot – au sport, Box Brown retrace le parcours d’un catcheur pas comme les autres. On y retrouve quelques moments d’anthologie, dont un long conflit avec le champion Jerry Lawler qui culminera en une bagarre – réelle, pour le public – dans le talk-show Late Night with David Letterman, mais aussi, donc, les dessous de cette fausse vraie rivalité. Box Brown raconte d’autres faits moins connus, comme l’amitié entre Kaufman et Freddie Blassie, star du catch et héros de son enfance, qui deviendra plus tard le mentor et protecteur de l’humoriste. Loin des images de «showman» un peu timbré ou d’artiste torturé qu’on lui a souvent prêtées, L’Incroyable Andy Kaufman dresse le portrait d’un homme guidé par l’enthousiasme. «Lutter, c’est improviser», écrit Box Brown. À l’inverse des combats qu’il dessine, qui se démarquent par leur brutalité et leur sens du spectacle, il montre avec beaucoup de délicatesse qu’Andy Kaufman, en s’engageant dans le monde du catch, voulait rendre fiers à la fois l’enfant et l’artiste en lui.
Valentin Maniglia
L’histoire
La carrière d’Andy Kaufman suscite l’admiration : héros adulé de la sitcom culte Taxi, auteur de numéros comiques mémorables et lutteur professionnel à l’étonnant palmarès. Kaufman a fait sa marque en interprétant des personnages méprisables, si assumés et convaincants que tous, sauf ses intimes, y croyaient dur comme fer. Qu’est-ce qui pousse un homme d’un naturel doux et sensible à provoquer la haine de son public ? Comment expliquer qu’un performeur cherche toute sa vie à obtenir cette réaction ?