Le monde a changé, pas lui : douze ans après l’aventure brésilienne, l’agent secret OSS 117 reprend du service en Afrique. Mais dans cette troisième mission, pur produit de son époque, le changement de direction est difficile à avaler…
Idole absolue de l’agent secret OSS 117, en qui celui-ci voit l’expression la plus aboutie d’une France libre, épanouie et victorieuse, bref, sans faille, Charles de Gaulle avait pourtant prévenu : «La vieillesse est un naufrage.» Un bon mot qui s’est vérifié plus d’une fois. Et qui trouvera à nouveau raison dès aujourd’hui en salle, avec le troisième opus des aventures du meilleur espion français. Après avoir déjoué les plans d’anciens nazis en Égypte au lendemain de la guerre (Le Caire nid d’espions, 2006) puis à nouveau au Brésil à la fin des années 1960 (Rio ne répond plus, 2009), dans deux films de Michel Hazanavicius, OSS 117, toujours incarné avec flegme et bêtise par Jean Dujardin, doit une fois de plus laver l’honneur de la France, en Afrique noire cette fois.
On est à l’aube des années 1980 et Valéry Giscard d’Estaing termine son mandat de président. Au siège du service de contre-espionnage, on rit de la candidature de François Mitterrand : jamais les Français n’oseront élire un homme qui risque d’amener le communisme dans l’Hexagone, risquant de faire «débarquer les chars soviétiques sur les Champs-Élysées», de déclencher une «guerre civile» et de voir les Français s’entasser dans des «files d’attente devant des magasins vides». Le monde a changé, pas lui. Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117, a toujours les faveurs de ses supérieurs, mais il est assigné au nouveau service informatique, rétrogradation dans laquelle il trouve son compte : toujours prompt à faire des blagues avec ses nouveaux confrères «geeks», dans un bureau où les femmes sont facultatives, il continue de «gratifier» ses collègues féminines des étages supérieurs d’une tape sur les fesses. Quand l’une d’entre elles se plaint de ne pas avoir eu ce plaisir, l’espion s’exécute, et à ses vœux de bonne année en anglais, lui répond «Me too». Une certaine idée de la finesse…
C’était cependant inévitable : Alerte rouge en Afrique noire devait se frotter aux débats qui enflamment la société actuelle. Dans un entretien publié dans le dossier de presse du film, Nicolas Bedos, le réalisateur, s’explique : «Dans cette époque obscurcie par la pandémie, les atteintes à la liberté d’expression, l’aveuglement des intégrismes et le politiquement correct, OSS est une bouffée d’air nécessaire.» Un changement de direction à double sens : le remplacement de Michel Hazanavicius par Nicolas Bedos a amené la saga à emprunter un nouveau chemin, dans l’esthétique, la narration et l’humour. «Comme le second mari qui s’installe dans l’appartement que sa femme a longtemps partagé avec son ex, et dont la décoration a été conservée, j’ai dû déplacer quelques meubles», poursuit le réalisateur.
Dans ses premières minutes, le film répond aux critères de la parodie de James Bond, puis il vole de ses propres ailes. La mission elle-même est moins glorieuse que les précédentes : renvoyé sur le terrain, en Afrique – dans un pays non précisé, ce qui donnera un excellent gag où, pour se repérer en pleine savane, 117 sort de sa poche une carte du continent tout entier –, l’espion devra mater une rébellion pour maintenir en place le dictateur dont l’élection est bien entendu supervisée par la France. Les décors superbes, l’esthétique travaillée, les scènes d’action efficaces et la présence excellente de Pierre Niney en jeune agent très «eighties» n’y font rien : Alerte rouge en Afrique noire s’enferme dans la parodie de la parodie. Qu’importe qu’il faille, comme le dit son réalisateur, prendre le film au deuxième ou au troisième degré.
Ce n’est pas le politiquement incorrect auquel je tiens. C’est à la liberté de l’humour !
Cette troisième aventure souffrira forcément de la comparaison avec ses deux immenses prédécesseures. D’autant plus qu’elle s’est adjoint les services du scénariste historique de la saga, Jean-François Halin, qui a toujours dans sa manche des idées nouvelles (avec l’âge, la virilité et la forme physique d’OSS 117 en prennent un coup) et quelques formules débitées par un Dujardin les sourcils en vague («On ne parle pas allemand par plaisir», après avoir entendu un garde du corps africain rappeler à l’ordre son guépard dans la langue de Goethe). Mais en voulant changer de rythme, l’écriture se fait balourde et repose surtout sur les tares de son héros raciste, misogyne et homophobe, exposées gratuitement pour donner un coup de pied dans le politiquement correct : au garçon d’hôtel sidéré de voir que 117 tient à se passer de son aide («Mais qu’est-ce que c’est que ces préjugés ?») malgré les généreux pourboires qu’il lui donne, l’agent confie qu’il ne fait pas ça en France car «il y a beaucoup moins de noirs qu’ici».
Il ne reste plus beaucoup de traces de la recette miracle des deux films précédents, qui mélangeaient la crétinerie et l’anachronisme du personnage pour en faire un sommet de grotesque et d’absurde : ici, on regarde un pur produit de son époque, où Jean Dujardin cabotine. Nicolas Bedos avait pourtant promis, avant la première du film en séance de clôture du dernier Festival de Cannes : «Ce n’est pas le politiquement incorrect, qui sous-entend l’envie de bousculer, de choquer, de faire mal, auquel je tiens. C’est à la liberté de l’humour.» Puis, encore : «Une minorité de gens, usant d’un syllogisme assez pervers, aimerait nous faire entendre qu’un ouvrage ou un film partage forcément le point de vue de son personnage principal. (…) La plus grande victime de cette course à celui qui aura l’indignation la plus véhémente, c’est la liberté d’expression. Et en particulier l’humour. (OSS 117) représente une France qui a existé et dont on fait l’inventaire dans un but cathartique et jubilatoire. L’humour est une arme contre nos peurs. Bergson dit que le premier rire fut provoqué par le spectacle d’un homme qui trébuchait. Hubert trébuche à chaque réplique !» Encore faut-il se rendre compte que l’important, ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage…
Valentin Maniglia