Cette semaine, Change, d’Anika, sorti le 23 juillet chez Invada Records.
Elle est réapparue comme elle est arrivée il y a onze ans, sans prévenir. Une figure séductrice sortant du brouillard avec ses baisers glacials et son charme envoûtant. On se souvient encore de cette pochette en noir et blanc dévoilant un bout de visage mangé par une chevelure blonde (Anika, 2010).
Une référence s’est alors vite imposée : la jeune femme serait la réincarnation de Nico, muse d’Andy Warhol et beauté diaphane derrière le micro du Velvet Underground. Sa voix, traînant sur des mélodies minimalistes, confirmait la comparaison, d’autant plus juste que la chanteuse, à moitié allemande, venait de poser ses valises à Berlin.
C’est pourtant en Angleterre, sa terre d’origine, que s’est construit le succès d’Anika (Annika Henderson de son vrai nom). Surgie de nulle part, ayant fait carrière jusque-là dans l’organisation de concerts et le journalisme, elle a frappé un grand coup avec cette première production fascinante, quasi tombée du ciel, mix dépouillé de punk, de dub et de pop haut perchée.
Sans Geoff Barrow, cette fois
Une réussite d’autant plus frappante que l’objet en question ne contenait que deux compositions originales, le reste étant des reprises d’illustres modèles (Yoko Ono, Bob Dylan, Ray Davies…).
Derrière l’étonnante appropriation, on trouve aussi la patte de Geoff Barrow (membre fondateur de Portishead), toujours à l’aise pour mettre en valeur les boucles sonores entêtantes, comme il le fait avec son groupe BEAK>. Ce n’est pas le cas pour ce second disque, bien qu’il soit soutenu par son label, Invada Records.
Car pour Anika, il s’agit désormais de s’affirmer par elle-même, lâcher cette image de collaboratrice de talent (avec Tricky, Shackleton, le collectif Exploded View). Bref, s’épanouir, imposer son caractère, aller jusqu’au bout de ses idées.
Change, une appellation qui ne doit rien au hasard
Change est donc une appellation qui ne doit rien au hasard. C’est une affirmation, une démonstration même, qui s’observe à travers neuf titres qui osent la différence. D’abord, exit la filiation avec Nico, en raison d’un chant plus clair et léger. Une voix qui, moins étouffée et plus assurée, se tourne vers le «spoken word», style qui fait des émules – Alison Mosshart (The Kills), Jehnny Beth, Florence Shaw (Dry Cleaning)… Ensuite, la musique opère, elle aussi, sa révolution, bien plus volontaire qu’elle ne l’était il y a onze ans.
Pour simplifier, elle porte en elle l’ADN de l’exil, celui d’une femme qui, selon ses dires, se sent comme «une étrangère» dans ses deux pays de cœur. D’un côté, on trouve Bristol pour le trip-hop prenant, et de l’autre Berlin, pour son aspect plus gris, industriel, froid.
L’héritage de la ville allemande se ressent également sur les sons électroniques austères, et à travers l’hypnotique krautrock aux boucles planantes et magnétiques rappelant, d’une certaine façon, Vanishing Twin, Broadcast ou Boards of Canada.
«Un vomissement d’émotions»
Dans cette grisaille synthétique qui parsème la plupart des morceaux et dans une présence spectrale, nimbée d’un halo de mystère, Anika dit beaucoup de choses. «C’est un vomissement d’émotions, d’angoisses, de pensées telles que : comment cela peut-il continuer ? Comment pouvons-nous continuer ?», lâche-t-elle sur Bandcamp. On y sent le poids de l’intimité du confinement, mais aussi une réflexion plus large, bienveillante.
C’est sûr, il flotte ici un vif sentiment d’inquiétude, mais aussi un franc optimiste, présent sur des titres pas si tristes que ça. Sur la chanson titre Change, elle répète d’ailleurs, comme un mantra, qu’on «peut changer». Anika montre l’exemple. Gageons que tout le monde suivra.
Grégory Cimatti