Sœur Marie-Bernard vit en ermite à Torgny, en Belgique, à 40 minutes du Grand-Duché. Avec la même qualité de l’écoute et de l’accueil, elle reçoit encore, à 99 ans, des êtres mal dans leur peau, d’autres en quête de sens.
Elle se tient là dans son fauteuil, tout sourire, les jambes recouvertes d’un plaid ou d’une couverture. Sœur Marie-Bernard a choisi de vivre seule au sommet de la colline de Torgny, perpétuant une tradition qu’avait initiée avant elle Dominique Schmit, ermite à Torgny en 1842.
Une petite chapelle est restée du XIXe siècle et une minuscule habitation à deux pièces de vie et aux dimensions réduites est blottie à l’arrière. C’est là que vit depuis les années 70 sœur Marie-Bernard, Accueillant les visiteurs avec le même sourire, la même qualité d’écoute.
«Des gens viennent parfois de loin. De Marseille. De Paris. De Bruxelles. L’autre jour, une dame est revenue me voir et m’a confié m’avoir rencontrée pour la première fois il y a 40 ans! Je ne me souviens plus des noms, des visages, il y en a tellement eu! Cette dame m’a rappelé que 40 ans plus tôt elle était malheureuse dans son travail. Elle m’a dit que je l’avais alors beaucoup encouragée et que j’avais posé ma main sur sa tête.»
«Tu n’es pas seule, je suis là»
Née dans une famille de 8 enfants à Trooz en province de Liège, la petite Marguerite Rahir – c’est son nom et son prénom à l’état-civil – a souffert des quolibets de ses condisciples quand elle était enfant à la suite d’un défaut d’élocution.
Plus de 90 ans plus tard, il lui en reste encore quelque chose… «Enfant, je me suis sentie seule et mise à l’écart avec ce problème d’élocution. C’est à ce moment que j’ai entendu une voix qui me disait: “Non tu n’es pas seule, je suis là, moi.” » Cette voix qu’elle percevait, c’était Dieu, assure-t-elle.
Soit dit en passant, sœur Marie-Bernard qui est intelligente et a une grande force de caractère, n’a rien d’une illuminée ni d’une écervelée. Si elle dit avoir entendu un appel de Dieu, il faut lui laisser la sincérité de son témoignage.
Cette adversité dans la vie liée à l’élocution lui a aussi sans doute donné la force de compter sur elle-même et mener ses projets jusqu’au bout. «À 12 ans, je savais déjà que je serais ermite et missionnaire.»
Elle fait son noviciat au couvent des sœurs dominicaines à Namur. Mais lors du prononcé de ses premiers vœux, elle annonce déjà la couleur: «Je ne resterai pas au sein de la congrégation. Je veux rester dominicaine, mais en dehors de la communauté, en étant ermite!»
Elle s’assoit sur le courrier de l’évêque
Sa mère supérieure grince un peu les dents, mais évite l’affrontement avec la petite jusqu’au-boutiste. Puis sœur Marie-Bernard part plusieurs années comme missionnaire au Congo, à Matadi, jusqu’à son retour en Belgique en 1964, après l’indépendance. «Je me sentais bien dans ce pays, avec la population. Ma tête est toujours au Congo!».
De retour au couvent en Belgique, elle réclame son statut d’ermite, mais sa supérieure d’alors et l’évêque grondent: «Si vous devenez ermite, vous ne serez plus dominicaine.»
Sœur Marie-Bernard, ulcérée, dit qu’elle a alors placé ce courrier de l’évêque sur son fauteuil et «s’est assise dessus». On vous avait prévenus, elle a du caractère.
La religieuse ajoute : « »L’homme ne réparera pas ce que Dieu a uni », est-il écrit dans la Bible.»
Sœur Marie-Bernard a donc choisi, non de quitter l’habit blanc des dominicaines (elle a conservé une tenue blanche), mais de garder sa liberté et son indépendance de vivre seule, avec Dieu pour seul confident et tous les visiteurs venus lui raconter leurs mille maux. «Parfois, on me téléphone à 6 h du matin, à minuit, aussi. Et je décroche, car je sais que ça leur fait du bien…»
Dominique Zachary (L’Avenir)
Née dans un éclat de rire
«Je suis née dans un éclat de rire», s’esclaffe sœur Marie-Bernard, cette bonne vivante pour qui la joie de vivre est salvatrice. D’où tient-elle d’ailleurs ce sourire permanent sur son visage? «Je le tiens de Lui», répond-elle en levant les yeux au ciel. Dieu, elle le précise, mais avec discrétion, est le fidèle compagnon de sa vie. «Ce n’est pas moi qui ai cette force d’écouter chaque jour les gens, c’est Lui…»
Sœur Marie-Bernard a cette foi profonde qui rend lumineuses les journées sombres et redresse les épaules voûtées. Mais ne croyez pas que la religieuse détient la forme olympique tous les jours, il lui arrive de céder à la fatigue, au découragement parfois. C’est humain. «Parfois, Il m’en fait baver. Ce n’est pas rose tous les jours», dit-elle, en riant bien sûr.
Sa longévité, elle la doit sans doute à une bonne santé, même si des problèmes de sang lui ont suscité quelques craintes lors de l’épidémie Covid. Mais elle a résisté dans son ermitage confiné. Et sœur Marie-Bernard file droit sur ses 100 ans, le 12 mai 2022. «J’espère encore vivre quelques années».
Elle va continuer à lire des BD, sa passion en plus des livres religieux. «Tintin, Blake et Mortimer m’ont beaucoup accompagnée.» Elle lit de la BD adulte aussi et nous sort un exemplaire de l’album de Zep, papa de Titeuf, Un bruit étrange et beau. Un conte philosophique merveilleux. «Vous connaissez ce livre?», nous demande la presque centenaire. Dehors, des oiseaux chantent et jouent entre les arbres.
D. Z.
J’adore ? cette la personnalité de cette ! personne ! Inspirante de par sa simplicité, spontanéité enfantine et ce rire qui revient régulièrement dans ses interviews. Elle respire le bien-être et j’aimerais pouvoir la tenir dans mes bras.
Je lui souhaite encore de beaux jours.
Une belle personne, comme on dit aujourd’hui, une chrétienne aussi bienveillante que fervente, une vieille dame originale qui a bien vécu, une religieuse qui filera droit au ciel… Bravo pour ce reportage revigorant !