En juillet 2019, le projet de réforme de la Constitution a failli dérailler. Deux ans plus tard, le président de la commission des Institutions, Mars Di Bartolomeo (LSAP), revient sur la reprise des travaux ayant mené à un compromis reposant sur quatre chapitres de révision distincts.
Au soir du 18 juillet 2019, la réforme de la Constitution, préparée pendant 15 ans, ne tenait plus qu’à un fil. Après avoir validé le texte en juin 2018, le CSV avait opéré une volte-face. La recherche d’un compromis viable pour les partis de la majorité et le CSV, initiée par Alex Bodry, parti siéger au Conseil d’État en janvier 2020, est revenue à son collègue de parti Mars Di Bartolomeo. En fin de compte, la Chambre s’apprête à voter quatre révisions partielles consacrées à la justice, l’organisation de l’État, les droits et libertés et le fonctionnement de la Chambre et du Conseil d’État.
La révision de la Constitution doit s’opérer sur base de quatre chapitres thématiques. Où en sont les différents travaux ?
Les quatre chapitres sont déposés et ont été une première fois avisés par le Conseil d’État. Le chapitre ayant trait à la justice est fin prêt. Le dernier avis complémentaire a été rendu par les Sages. Le chapitre ayant trait aux institutions et à l’État a aussi été une seconde fois avisé et est donc également fin prêt. Le troisième chapitre sur les droits et libertés fera encore l’objet d’une série d’amendements sans toutefois remettre en cause l’équilibre du texte. Pas plus tard que vendredi, le chapitre consacré à la Chambre des députés et au Conseil d’État a été analysé sur la base de l’avis rendu par la Haute Corporation. Les rapports sur les deux premiers chapitres peuvent désormais être rédigés, pour les deux autres, il faudra encore attendre un peu, mais comme évoqué, il n’y a plus d’obstacle fondamental qui risquerait de freiner les travaux. Je suppose donc que les quatre chapitres pourront dès la rentrée parlementaire, en octobre, être à tour de rôle soumis au vote de la plénière.
Il est donc acquis que la révision de la Constitution sera achevée avant la fin de la législature en cours ?
Notre objectif est très clairement que le processus de révision soit achevé avant 2023. Il est toutefois à préciser que les différents chapitres devront être votés à deux reprises par la Chambre. Après un premier vote par une majorité constitutionnelle (NDLR : deux tiers des députés), un second vote doit intervenir au plus tôt trois mois après le premier.
La volte-face du CSV en 2018 n’a-t-elle pas provoqué de la rancune auprès des autres partis, et plus particulièrement parmi les trois partis de la majorité ?
L’ambition était de mener à bout la révision intégrale de la Constitution. Cela aurait été la solution à privilégier. Au vu de l’évolution des choses, les travaux menés depuis 15 ans étaient tout à coup menacés. Par la suite, les élus qui voulaient éviter un tel scénario, issus de presque tous les bords politiques, se sont accordés sur la meilleure solution de remplacement. Le compromis trouvé nous permet toujours de transposer beaucoup d’éléments importants et une bonne partie de l’excellent travail des 20 dernières années. On ne peut donc pas parler de rancune. Ce changement d’attitude n’a également pas eu d’impact négatif sur les travaux en commission. Il n’y a pas eu de blocages parmi ceux qui pendant une période transitoire avaient changé d’avis. Cela n’empêche pas qu’il y a eu une déception sur l’abandon du consensus initial.
Le CSV avait motivé son blocage entre autres par un fait nouveau créé par le Premier ministre concernant une réforme du système électoral. Cette question a-t-elle encore fait l’objet de discussions depuis la reprise des travaux en commission ?
En commission, nous avons accompli ce que doit être une Constitution : travailler ensemble sur une loi fondamentale qui doit non pas diviser, mais réunir les gens autour d’un fondement commun, sans se perdre dans une guerre de tranchées. Je n’ai jamais eu le sentiment que quelqu’un ait poursuivi d’agenda bis pour bloquer la révision après coup.
Un moment critique lors des travaux a aussi été l’imbroglio sur l’indépendance de la justice. En fin de compte, un consensus a été trouvé dans la douleur et sur intervention du Conseil d’État. Comment analysez-vous cet épisode avec un peu de recul ?
L’origine de cet imbroglio est le différend qui a impliqué le parquet et certains membres de la Chambre dans le cadre de l’affaire du « casier bis ». On aurait vraiment pu s’épargner cet épisode. Mais en fin de compte, ce débat a constitué l’épreuve de vérité pour la commission des Institutions, mais aussi pour les institutions dans leur ensemble. Il s’agit d’un très bon exemple pour illustrer l’importance de se donner le temps nécessaire pour prendre du recul et dédramatiser un débat. Cela permet alors de trouver des solutions viables, qui peuvent être soutenues par tout le monde. Car je le dis avec une conviction profonde : il n’existe personne dans ce pays qui veuille remettre en question l’indépendance de la justice.
Vu les récents changements au niveau de la direction du CSV, n’aurait-il pas été possible de faire marche arrière pour quand même retrouver un consensus sur une réforme intégrale de la Constitution ?
Même si nous ne tricotons pas une toute nouvelle Constitution, les éléments les plus essentiels des travaux préparatifs sont repris dans le compromis trouvé. Les révisions que nous allons entreprendre ne perdent pas en valeur. Au lieu d’un train complet qui arrive en gare, ce seront quatre wagons séparés, mais si on les relie les uns aux autres avec comme locomotive notre commission et nos partenaires, nous aurons un résultat dont la Chambre peut être fière.
Le fait de procéder à une révision en quatre chapitres représente-t-il un avantage ou un désavantage en ce qui concerne la communication de la Constitution renouvelée vers l’extérieur ?
Contrairement à un vote intégral, le débat public va durer plus longtemps. Pendant une année au moins, la sensibilisation du pays à la valeur de la Constitution pourra perdurer. Les gens auront davantage l’occasion de se familiariser avec les passages révisés et de réaliser l’importance d’une loi fondamentale pour le fonctionnement d’une société.
Un élément central de la Constitution révisée est l’inscription d’un droit au logement. La crise dans ce domaine ne cesse de s’accentuer depuis des décennies. L’ancrage de ce droit dans la loi fondamentale sera-t-il suffisant pour enfin renverser la vapeur ?
Tout ce qui est ancré dans la loi fondamentale doit constituer une priorité absolue dans tous les domaines politiques. Le problème du logement ne peut pas être résolu par le seul ministère du Logement. Tout un chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. L’Aménagement du territoire, l’Intérieur, l’Environnement, les communes, les promoteurs publics et privés, mais aussi les spéculateurs immobiliers, doivent être mis à contribution. Il n’existe toujours pas de baguette magique, mais la lutte contre la crise du logement nécessite une union nationale. L’ancrage du droit au logement dans la Constitution doit obliger l’ensemble de la communauté à se mobiliser pour atteindre cet objectif de l’État.
Aussi bien l’opposition que la majorité doivent davantage se diriger l’une vers l’autre
Dans le contexte politique actuel, les appels à mettre en place des commissions d’enquête parlementaire se sont multipliés. Le texte de révision prévoit désormais qu’une minorité de députés peut demander une telle commission. Pourquoi cet instrument a jusqu’à présent été aussi peu utilisé au Luxembourg ?
Tout d’abord, je me dois de souligner que la Chambre s’est imposée sur ce point lors des discussions sur la révision. Il y a eu des discussions controversées entre les institutions, y compris avec le gouvernement. Si le Parlement veut se prendre au sérieux, il se doit de se doter d’un tel instrument. Néanmoins, il nous faut abandonner l’idée selon laquelle une enquête parlementaire doit systématiquement être dirigée contre un gouvernement ou être une sorte de poursuite. Une telle commission doit surtout pouvoir élucider des dossiers complexes sans systématiquement occuper le rôle d’un parquet ou d’un juge.
L’opposition parlementaire s’est indignée que la majorité ait refusé la mise en place d’une telle commission pour éclairer la gestion de la crise sanitaire dans les structures pour personnes âgées. Pourquoi ce refus ?
Je répète que les objectifs d’une commission d’enquête doivent évoluer. Si le droit d’initiative d’une minorité de députés à mettre en place une telle commission est inscrit dans la Constitution, il nous faut revoir fondamentalement la loi régissant le fonctionnement de l’enquête parlementaire. La collecte d’éléments doit figurer au centre des préoccupations. Est-ce qu’une commission d’enquête aurait été plus pointue dans le contexte des foyers d’infection ? Le rapport Waringo est précieux. Je retiens aussi que c’est la Chambre qui a figuré aux avant-postes pour réclamer une telle étude. Et j’insiste sur la nécessité de pousser l’analyse plus loin sur le volet épidémiologique.
La ministre de la Santé, Paulette Lenert, s’est toutefois montrée plutôt réservée sur ce point…
Ce n’est pas le cas. J’ai pu échanger sur ce point avec la ministre. Le volet épidémiologique pour en savoir plus sur la circulation du virus doit être étudié de plus près. Les deux volets réunis auront la même valeur qu’une commission d’enquête. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que l’étude ayant mené au rapport Waringo s’est faite dans un laps de temps assez réduit. Une commission d’enquête est d’une tout autre envergure. Si jamais la tentation était de mettre en place une telle commission pour tout genre de dossiers, on risquerait de paralyser complètement le petit Parlement de 60 élus que nous sommes. Cet instrument doit être utilisé à bon escient.
Malgré tout, le CSV ne cesse de rappeler que fin 2012 il avait, en tant que parti de la majorité, accepté d’instaurer la commission d’enquête sur le SREL ?
On ne peut pas comparer cette question de foyers d’infection avec l’affaire du Service de renseignement de l’État. Cette dernière était d’une gravité institutionnelle. Pour le dossier qui nous préoccupe actuellement, nous disposons de tous les instruments nécessaires pour élucider les choses. Cela ne peut se faire qu’en collaboration étroite entre les acteurs du terrain, les experts, les virologues, le gouvernement et le Parlement.
Le refus de Corinne Cahen de répliquer à la tribune de la Chambre aux questions et critiques formulées par les partis de l’opposition est considéré comme un grave manque de respect de la ministre de la Famille envers le Parlement. Comment jugez-vous ces accusations en tant qu’homme politique chevronné ?
À titre personnel, j’aurais saisi l’occasion de répondre à la Chambre, mais ici c’était la femme politique qui était visée, et ceci avant le débat à la Chambre. Et l’intervention n’aurait rien changé. J’ai occupé tous les rôles possibles : député de l’opposition, élu de la majorité, membre du gouvernement et président de la Chambre. J’ai également vécu des situations où des motions de l’opposition ont été rejetées en bloc. La guillotine a sévi. Le jeu entre majorité et opposition ne peut être équilibré davantage que si les deux camps sont prêts à s’engager sur de nouveaux chemins afin de trouver des compromis sur des sujets importants. Si je souhaite que ma motion ou ma résolution soit adoptée, je dois faire l’effort de réunir autour de moi le plus grand nombre d’élus, qu’ils soient issus de l’opposition ou de la majorité. Il s’agit de la base pour trouver des compromis. Aussi bien l’opposition que la majorité doivent davantage se diriger l’une vers l’autre.
Revenons une dernière fois sur la Constitution. L’ADR réclame un référendum comme annoncé initialement pour laisser le dernier mot à la population sur la révision à venir. Majorité et CSV ont renoncé à cette option, car il ne s’agit plus d’une révision intégrale. Le fait de ficeler quatre chapitres n’aurait-il toutefois pas facilité l’organisation d’un référendum comportant quatre questions ?
Lorsque j’ai repris la présidence de la commission des Institutions, j’ai été confronté à des décisions qui avaient déjà été entérinées. Je n’appartiens pas à ceux qui se perdent dans des conjectures. Je tiens uniquement à rappeler que notre Constitution actuelle prévoit un droit d’initiative des citoyens pour réclamer un référendum (NDLR : 25 000 signatures doivent être réunies). Le plus important n’est pas de se déchirer sur la question d’un référendum, mais surtout de permettre aux gens de se familiariser avec le texte. L’objectif doit être que les citoyens reconnaissent l’importance de la Constitution et s’identifient aux valeurs retenues dans la loi fondamentale.
David Marques