Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, bouleversés dans leurs habitudes par la pandémie, se sont appuyés sur leur réseau à l’international et le vivier créatif local pour concocter leur nouvelle saison. Découverte.
«C’est un petit miracle !» Tom Leick-Burns, le directeur du Grand Théâtre et des Capucins, a beau s’enthousiasmer de la présentation de la saison 2021/22, bien réelle pour le coup, il sait garder le sens de la mesure. Ainsi, la nouvelle proposition, pourtant sous-titrée «L’émotion au pluriel», a été annoncée sans l’habituelle fioriture et les élans joyeux : exit le petit show, les généreuses vidéos ou l’épais programme, place à la pondération. Preuve que la pandémie a profondément sapé le sens du divertissement et de la fête.
Cependant, l’humeur n’est pas moribonde. Certes, après une année et demie «fatigante», faite de «jauges réduites», de «changements de dernière minute» et d’annulations crève-cœur – comme la tournée de Breaking the Waves –, il y a de quoi en avoir marre. «On n’en peut plus ! On sent la fatigue», témoigne-t-il dans un souffle, avant de se reprendre : «Aujourd’hui, c’est un moment important, car on regarde vers l’avant.» La saison qui arrive devrait être moins pire que la précédente (sauf mauvais scénario). Et les Théâtres de la Ville de Luxembourg, bouleversés dans leurs habitudes par la pandémie, ont décidé de tout remettre à plat, de manière plus ou moins volontaire.
D’abord, il y a eu cette solidarité nationale, saluée en introduction par la bourgmestre de Luxembourg, Lydie Polfer, allant des partages de plateaux aux commandes de textes communes. «Ça a galvanisé le secteur, ça nous a tous rapprochés», lâche Tom Leick-Burns. Ensuite, le confinement et l’arrêt des spectacles ont suscité «plus de flexibilité, d’inventivité, de coopération» ainsi que de nouvelles pratiques, notamment digitales. Une «enrichissante» réaction qu’il faut «maintenir», enchaîne-t-il.
Venez nombreux dès que vous le pourrez
Enfin, à l’incessante question «comment doit-on produire ?», les Théâtres de la Ville répondent avec les arguments qui sont les siens depuis plusieurs années maintenant : en s’appuyant sur un réseau national et international et en favorisant les coproductions. Une visée qui, d’une certaine manière, les a sauvés d’un désagrément supplémentaire. Leur directeur expose : «Aujourd’hui, repérer et acheter des pièces est très limité, vu que les spectacles se montrent peu ou ne se montrent plus. Certains théâtres qui se basent sur ce modèle connaissent actuellement de gros soucis. Sans un engagement et une fidélité avec d’autres théâtres, construite sur deux ou trois ans, oui, c’est très compliqué de monter une saison.»
Mieux qu’une explication, un chiffre : 64 % de la programmation en 2021/22 sera faite de productions maison ou de coproductions. Ce qui en dit long sur un développement basé sur le «partage», la «transmission» et l’«accompagnement». Ce qui en dit beaucoup aussi sur «le parcours des théâtres et de tout un milieu» ces dernières années au Grand-Duché. «C’est un secteur qu’il faut soutenir. Sa professionnalisation doit continuer !», martèle-t-il. Garder la cadence, d’accord, mais attention, pas n’importe comment ! Dans ce domaine aussi, les Théâtres de la Ville s’adaptent, selon la formule ressassée «less is more».
Du moins pour du mieux qui s’observe par un programme plus ramassé – «consolidé», corrige Tom Leick-Burns – qui s’imposait : «Le rythme que l’on avait avant la pandémie était carrément dingue !», dit-il, évoquant des cas de burn-out dans son équipe. «On ne peut pas faire 65 productions par saison, investir dans des créations de qualité, faire des collaborations internationales, multiplier les échanges, inventer de nouveaux dispositifs… Ça, ce n’est plus possible ! Avoir 27 spectacles de danse non plus ! Il faut s‘émanciper de ce qui a été fait avant», clame-t-il, rappelant au passage que le Grand Théâtre, en 1964, année de sa création, était une «maison d’accueil» et non de création et de diffusion.
Malgré une programmation scénique «toujours diversifiée et éclectique» qui, d’ici les prochaines semaines, pourrait même se renforcer d’autres propositions, après l’été, il sera surtout question de «libérer du temps et de l’énergie», et ce, à un double niveau. Auprès des équipes de la maison, forcément plus mobilisées par ce «travail plus complexe» autour des (co)productions du cru. Auprès du public, qu’il veut sensibiliser autrement, pour mieux s’en rapprocher. Car le théâtre, «ça n’est pas que du spectacle», mais aussi d’autres formes, plus participatives : conférence, table ronde, comité de spectateurs…
Comme le signale le danseur et chorégraphe luxembourgeois Georges Maikel dans son message de soutien, parmi ceux d’autres artistes du pays défilant sur le rideau des Capucins, «n’oubliez pas la culture qui nous rapproche tous». Une intention louable, certes, mais pas très «Covid friendly», qui sera toutefois corrigée dès la rentrée avec la mise en place du Covid Check, comme c’est déjà le cas à la Philharmonie par exemple. L’occasion pour la pianiste Cathy Krier d’écrire un «venez nombreux dès que vous le pourrez». On sonne difficilement plus juste.
Grégory Cimatti
Covid Check, site, logo et cycles… Un point sur les nouveautés
D’un point de vue formel, la nouvelle saison appliquera, dès septembre, le protocole Covid Check (testé, guéri ou vacciné), même si les Théâtres de la Ville de Luxembourg doivent encore attendre que leur concept sanitaire soit validé par le ministère de la Santé. À terme, tous les spectacles y seront soumis, même si Tom Leick-Burns s’interroge encore : «Le public sera-t-il assez confiant pour se retrouver, d’un coup, comme ça, les uns à côté des autres ?»
En outre, vu que les réservations sont toujours conseillées, le public pourra à cette occasion découvrir un site repensé qui va droit au but : d’un clic, en effet, on est basculé sur celui de Luxembourg Ticket… Les plus attentifs auront peut-être remarqué un nouveau logo. Une «touche moderne» qui doit agir «comme un coup de projecteur» sur une programmation complétée de deux nouveaux cycles (pour douze spectacles au total) : un focus sur la Grèce et un autre intitulé «Mémoire.s et Résilience».
Enfin, la saison 2021/22 accueillera six nouvelles créations : Let Me Die Before I Wake, Liliom ou la vie et mort d’un vaurien, All d’Déieren aus dem Bësch, Ödipus & Antigone, Zu unseren Schwestern, zu unseren Brüdern et Medea. Des spectacles conçus, montés et joués par des artistes de Luxembourg, comme Myriam Muller, Élise Schmit, Anne Simon, Frank Hoffmann, Stéphane Ghislain Roussel, Rafael David Kohn, Anouk Schiltz…