Toujours coincé entre chanson et hip-hop, Eddy de Pretto continue son avancée sincère, lyrique et enflammée. Rencontre avec un artiste qui souligne les préoccupations de son époque et de sa génération. Comme les siennes.
Eddy de Pretto, 27 ans, est un artiste à part de la scène francophone et compte bien le rester. Après avoir rencontré le public sur son premier album (Cure, 2018), séduit par sa plume affûtée et sa mélancolie, il a signé son retour cette année avec À tous les bâtards, porté par des textes optimistes, intimistes et un sens plus poussé de la mélodie. Confidences.
Comment avez-vous envisagé ce second album après avoir vendu 300 000 exemplaires du premier ?
C’est une pression, surtout au début, quand on commence à créer. On repart vers un inconnu. Pendant la création, c’est plus tranquille car on est très concentré. Avant et après, c’est-à-dire à la sortie, oui, c’est plus compliqué.
Comment réussir à gérer ce cap sans être prisonnier de l’avis du public ?
C’est un défi pour chaque artiste dont le premier disque s’est bien vendu. Je voulais quelque chose de plus solaire, de plus ouvert et de plus mélodieux. Dès le début, je voulais aussi un rendu plus musical. C’est là, je pense, qu’est la différence avec le premier album.
Dans les textes également, on vous sent plus libre. Avez-vous ressenti cet affranchissement dans l’écriture ?
C’est aussi une différence avec mon premier disque où il y avait plus de questionnements sur comment je suis, comment je dois faire, est-ce que je dois faire semblant… Sur ce second album, j’arrête justement de me poser ces questions. Je suis en mode plus assumé, je suis juste la personne que je suis et que je veux précisément être.
Est-ce que le titre Bateaux-mouches peut être vu comme un retour à vos débuts, justement pour mieux assumer ?
Oui, et c’était aussi la volonté de raconter une histoire, la plus humble possible, en disant où j’ai commencé, où j’en suis aujourd’hui et comment j’avance. Pour moi, c’était important de le faire, de montrer au public que je ne suis pas arrivé sous blister, « marketé » et qu’il y a donc tout un vécu avant.
J’essaie d’avoir un pied dans la chanson,
un autre dans plusieurs styles, plusieurs influences
Comment voyez-vous ces jeunes se bousculant à des castings sans forcément avoir un vécu ?
Si c’est un chemin qui leur plaît, tant mieux ! Le problème de The Voice, par exemple, est que, selon moi, quand on fait de la musique, il faut avoir des choses à raconter. Cela ne suffit pas d’avoir une belle voix ! Si on n’a pas grand-chose à dire, c’est triste ! Il est pourtant important de faire une introspection et savoir précisément le fond de ce que l’on veut défendre avant de penser à l’emballage et de se montrer à la télévision. C’est en tout cas ce que j’ai fait. Des choses bouillonnaient en moi : j’avais envie de les poser sur le papier puis de les défendre.
Vous êtes un artiste à part sur la nouvelle scène, hors des modes, ce qui est une qualité. Le ressentez-vous comme tel ?
Je pense en effet que c’est une qualité. J’essaie d’avoir un pied dans la chanson, un autre dans plusieurs styles, plusieurs influences. En fait, je pense que chaque personne, chaque artiste, doit développer ses différences. Il ne faut jamais chercher à ressembler aux autres, vouloir rentrer dans un moule. Cela ne fonctionne jamais.
Dans Freaks, vous vous adressez à ceux parfois considérés comme des marginaux, les invitant à faire de leur différence une force. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Assez naturellement. Je me disais que c’était assez beau d’être dans une génération où quand on va sur les réseaux, sur Instagram par exemple, on peut tomber sur des gens très différents, qui potentiellement étaient ceux que l’on montrait du doigt à l’école, que l’on ne voulait pas voir… C’était important pour moi de faire une chanson sur ça car on me disait que j’étais bizarre, gay, pas comme tout le monde… Pouvoir aujourd’hui retourner ça et en faire une force, c’est primordial !
Est-ce que les réseaux sociaux, avec notamment cette question du harcèlement en ligne, ont rendu pour beaucoup l’adolescence plus difficile ?
Il y en a en effet un côté sombre. C’est très compliqué à gérer, surtout quand on se retrouve face à une horde haineuse difficile à capter. On est encore comme des fous face à ces outils qui évoluent sans arrêt, mais il faut en fait apprendre à les gérer. J’espère qu’on va aller vers quelque chose de plus sain.
J’espère que certains jeunes, gays notamment,
se retrouvent dans mes chansons
Comment voyez-vous cette polémique autour du refus par l’UEFA pour raisons « politiques » que le stade de Munich soit éclairé par les couleurs arc-en-ciel de la communauté LGBT ?
C’est affligeant que certaines grosses institutions ne veuillent pas suivre ces mouvements et sortent des raisons aussi grotesques que ça. Tant pis si certaines jouent le jeu pour se faire une belle image, le résultat est qu’elles le font. Ce qui est désolant est de voir celles qui freinent des quatre pieds. Petit à petit, ça avance, les choses évoluent, il faut encore des efforts mais je reste optimiste.
Guillaume Cizeron a récemment évoqué son coming out dans un livre (Ma plus belle victoire). Vous, vous l’avez évoqué en chansons. C’était votre façon de l’extérioriser ?
Totalement. Cela m’a aidé à le vivre, à l’assumer et à passer un cap. Une chanson, c’est comme un « checkpoint »: c’est dire à un moment précis ce que l’on pense de tel sujet, mettre des mots dessus, le marquer. Je pense que des chansons comme Kids ou sur d’autres sujets comme Quartier des lunes, Parfaitement ou Val de larmes reflètent certaines de mes pensées, qui d’ailleurs ont évolué. Cela m’aide à grandir et à accepter qui je suis.
Pensez-vous être un porte-voix pour pas mal de jeunes ?
J’espère en tout cas que certains jeunes, gays notamment, se retrouvent dans mes chansons. C’est le but : que cela parle à beaucoup de monde ! Que ce soit sur les réseaux, à la télévision, il y a maintenant une vraie représentation LGBT et d’autres minorités. C’est le plus grand changement de notre époque et c’est une bonne chose.
Un mot sur la pandémie de Covid-19. Comment avez-vous vécu le fait d’écrire et d’enregistrer un album sans savoir quand vous pourriez remonter sur scène ?
C’était très dur de se projeter et c’était un casse-tête pour savoir quand on allait pouvoir le sortir, vu que les règles changeaient constamment. C’était vraiment compliqué. Et ça le reste encore.
Vous deviez d’ailleurs être à l’affiche des premières Francofolies au Luxembourg et vous avez malheureusement annulé. Peut-on espérer vous voir prochainement au Grand-Duché ?
On devait faire quelques dates et tout est devenu très difficile à cause de cette pandémie. On devait annuler, reporter et c’est devenu un véritable casse-tête ! Je viendrai cependant dans la Grande Région pendant ma tournée des Zénith à l’automne, à Nancy et Strasbourg. Je suis déjà venu jouer au Luxembourg et je compte bien y revenir !
Un mot sur la pochette de l’album, un dessin de l’une de vos fans. Comment avez-vous choisi ce visuel ?
J’étais sur Instagram et je vois ce dessin, une représentation de moi assez bizarre et assez étrange. C’était une fille, habitant en Suisse, qui m’a dessiné. Je trouvais beau qu’elle me représente de cette manière, en pensant bien faire, avec énormément de bienveillance. J’aimais bien le cynisme de la pochette.
Quels sont vos projets ?
Je vais préparer de nouvelles choses cet été. Je vais ensuite commencer à préparer ma tournée. C’est énorme comme échéance et j’ai hâte d’y être.
Entretien avec Nikolas Lenoir
«Ce disque, c’est comme un prequel !»
Si À tous les bâtards offre une succession de flash-back – entre premiers tours de chant ingrats, élans amoureux et paradis artificiels – Eddy de Pretto balaie d’emblée le mot nostalgie : «Je ne me suis pas dit « mais où aller puiser ? ». Pas en tout cas dans les deux ans écoulés : les tournées, le fait que mon champagne soit passé à la gamme au-dessus, on s’en fout !» (il rit) «Je voulais raconter des choses plus expérimentées dans ma chair, je suis remonté plus loin, c’est comme un prequel en quelque sorte : comment j’en suis arrivé à faire de la musique.» «L’idée était de piocher des trucs qui m’ont construit et poser un regard tendre là-dessus, même si ce n’était pas aussi beau quand je les vivais.»
À tous les bâtards – une dédicace à tous ceux et celles qui comme lui ne rentraient pas dans les cases – s’ouvre ainsi sur Bateaux-mouches. Soit les premières scènes-estrades d’un jeune Eddy de Pretto-apprenti chanteur. Enfin échappé de Créteil, où il a grandi, en région parisienne, il distrayait les touristes en goguette sur la Seine avec un répertoire balisé. «L’Ave Maria en passant devant Notre-Dame, Good Morning America : How Are You ? devant la statue de la Liberté, La Vie en rose à la Tour Eiffel… Ah les clichés !» (il rit). La chanson Rose Tati évoque, elle, une personne qui a compté pour lui, sa «tante libre, décadente, « freak », qui me disait « tu seras ce que tu voudras, vas-y fonce ! »».
On entend d’ailleurs la voix bienveillante de cette tante, un jour qu’elle laissa un message sur son répondeur. Comme à son habitude, Eddy de Pretto ne cache rien de son mode de vie, multipliant les allusions aux drogues. Quand on lui demande si sa notoriété a accéléré les tentations, la réponse est franche : «Non, j’ai toujours baigné dans la fête, toujours eu de la drogue. J’ai toujours aimé m’y perdre.» S’il assume sa «vie de décadence», il y met des limites comme le révèle le titre Désolé Caroline : il y refuse le piège tendu par la cocaïne-routine. «L’addiction ne m’aura pas, je suis le commandant», martèle-t-il.
Ses amours défilent, insouciantes («J’ai trop de gars à aimer (…) D’autres nuits à déshabiller») ou amères («Les autres qui te tournaient autour/Avaient les armes pour te faire jouir»). Et s’amuse toujours à être cru quand il faut parler sexe (La Zone). La mise à nu touche aussi à son travail des mélodies. Avec Qqn, il dévoile la racine de ses compositions, le socle piano-voix qui précède le coffrage R’n’B efficace. «J’avais envie de montrer l’avant et l’après de ma musique, pour être au plus proche de l’intime.» Une dernière formule qui résume bien le disque.