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Une erreur de calcul

Nous assistons actuellement à une véritable lune de miel entre certains pays occidentaux et le régime égyptien du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, et particulièrement avec la France, qui a multiplié ces derniers mois les ventes d’armes au Caire. François Hollande était même l’invité d’honneur, le 6 août, de la cérémonie d’inauguration de l’élargissement du canal de Suez. À cette occasion, le président français a déclaré que la coopération avec le Caire allait «se poursuivre et se renforcer». Pourquoi? La fameuse «guerre contre le terrorisme».

Si l’on part du postulat que les relations internationales sont basées sur des intérêts et non sur la morale, cette coopération semble se justifier : «Les ennemis de mes ennemis sont mes amis.» Mais seulement, il y a une erreur de calcul dans l’équation. Abdel Fattah al-Sissi n’est pas l’ennemi des jihadistes de l’État islamique (EI), il en est au contraire le meilleur allié. Depuis son accession au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2013, Sissi mène une répression implacable contre toute opposition – qu’elle soit islamiste ou laïque et de gauche. Les analystes estiment même que son régime est plus féroce que celui d’Hosni Moubarak renversé en 2011 par une révolution populaire.

Or quel est le résultat de cette politique? Si les islamistes des Frères musulmans sont très affaiblis (physiquement et politiquement), les jihadistes de l’EI n’ont jamais été aussi puissants dans le plus peuplé des pays arabes. Ils multiplient les attaques dans la province du Sinaï frontalière d’Israël et ont revendiqué la semaine dernière la décapitation d’un Croate travaillant pour une compagnie française. Les condamnations à mort massives dans des parodies de procès contre les Frères musulmans – qui ont une véritable légitimité sociale et politique en Égypte – ainsi que l’emprisonnement des démocrates instigateurs de la révolution de 2011 ne peuvent que pousser une partie de la jeunesse égyptienne dans les bras de l’EI. Si, pour une grande démocratie occidentale, soutenir une dictature n’est jamais très glorieux, ce soutien apparaît complètement absurde s’il ne sert pas ses intérêts.

Nicolas Klein (nklein@lequotidien.lu)

2 plusieurs commentaires

  1. Jamal Mimouni

    Intéressante perspective et courageux propos.
    Pour une analyse sur Sissi et autres tyrans de la trempe, voir:
    http://lequotidienalgerie.org/2015/08/27/sissi-salan-habre-divergences-et-convergences/

    Quant a ce qui s’est placé sur l’emblématique place Rabia al Adawiyya il y a deux ans et pour lequels les gouvernements Européens ont gardés un silence coupable.
    http://lequotidienalgerie.org/2015/08/13/le-massacre-de-rabia-adawiya-afin-que-nul-noublie/

    J’espère aussi que patoumichouchen qui fait du pragmatisme économique sur le dos des droits de l’homme saura pondérer un peu sa perspective.
    Bien amicalement.
    J.M.

  2. patoumichouchen

    Oui et non analyse un peu courte. Il ne faut pas oublier qu’il est de l’intérêt de l’ Egypte d’ attirer les investisseurs. Le régime actuel sait que sa survie dépend de la rue et d’une situation économique satisfaisante. Il n est pas impossible de revoir 20 millions d’Égyptiens descendre à nouveau. Sissi en est pleinement conscient et pour l’ heure il garde toute la confiance de son peuple. Par ailleurs le tourisme est une ressource primordiale incompatible avec une situation sécuritaire instable. La solution passe de facto par le rétablissement de la confiance à travers la stabilité économique et securitaire pour le retour des investissements et du tourisme. C’est une situation d’urgence qui ne permet pas de transiger avec quelques agitateurs n’ayant qu’une chose en tête, renverser à nouveau le régime et instaurer à long terme la charia qui plaît tant on le sait aux touristes occidentaux.