S’inspirant du roman de Martin Winckler, avec lequel elle collabore, Aude Mermilliod pénètre dans l’intimité et le corps des femmes pour mieux interroger la pratique médicinale «déshumanisée». Une réussite.
La médecine moderne offre deux visages, antagonistes : d’un côté, un univers rigide et surmédicalisé qui met de la distance entre le patient et le docteur, dépositaire du savoir. De l’autre, une pratique plus horizontale, basée sur l’écoute, adaptée à l’individu, à ses particularités, à ses inquiétudes. Dans Le Chœur des femmes (2009), Martin Winckler montrait, comme dans nombre de ses livres (dont l’édifiant La Maladie de Sachs), l’hérésie des soins gynécologiques sexistes, dogmatiques, déshumanisés, alors que justement ils réclament de l’attention et du soutien.
Au tour, aujourd’hui, d’Aude Mermilliod d’y apporter sa sensibilité, «son art et son cœur de femme», s’enthousiasme le médecin romancier, qui collabore ici avec la jeune auteure. Une adaptation, ou plutôt une «adoption», précise-t-il dans la postface, qui, portée par un duo que tout semble opposer, reste fidèle à l’œuvre originale. Soit Jean Atwood, brillante interne qui se destine à la chirurgie. Pleine d’assurance et de préjugés, elle doit passer par un stage en hôpital dans le service «MLF» («médecine de la femme»), ce qui ne l’enthousiasme guère.
«Voilà qu’on m’envoyait écouter des bonnes femmes se plaindre à propos de leur pilule, de leurs seins douloureux ou je ne sais quelle connerie», se plaint-elle – un mépris étonnant de la part d’une femme. Mais voilà, la jeune praticienne va devoir remettre ses acquis en question face à un étonnant chef de service, Franz Karma, surnommé «Barbe bleue» (aux traits ressemblant à Martin Winckler). Lui est l’antithèse du médecin froid auquel elle s’identifie, préférant la discussion à l’examen académique.
Ne jugez pas les femmes. Écoutez-les!
D’ailleurs, dès la première confrontation, houleuse, il la prévient : «Tout ce que vous avez appris par cœur pour passer vos examens est daté, partial, insuffisant ou faux», lui intimant même de vite changer d’attitude. «Ne jugez pas les femmes. Écoutez-les!», affirme-t-il. On devine qu’à son contact elle va changer sa vision de la médecine. Dans une complicité chargée d’émotion, elle va même se pencher sur son propre cas, creuser les secrets qui entourent sa naissance et ce qui fait d’elle un être «à part»…
Aude Mermilliod est une auteure de l’intime, des combats intérieurs, comme en témoigne l’excellent Il fallait que je vous le dise (2019), dans lequel elle raconte sa propre expérience de l’avortement ainsi que les affres physiques et psychologiques d’une telle intervention. Réalisé comme ce dernier sous la bienveillance de Martin Winckler, Le Chœur des femmes est une suite logique à ses préoccupations. Là, entre les quatre murs d’un cabinet, où les traumas et inquiétudes se confient, elle évoque des corps en souffrance, l’anxiété avant un examen gynécologique et toutes les contraintes qui émaillent la vie d’une femme : règles, contraception, grossesses, IVG, fausse couche, ménopause…
Dans un monde hospitalier très masculin, où les luttes de pouvoir et d’intérêts dominent, elle se met à la hauteur des patientes, à qui, pour certaines d’entre elles, elle consacre un portrait touchant sur une page où rien n’est caché (viol, maladie…). Dans une approche plus pragmatique, l’ouvrage évoque aussi des pratiques considérées comme «alternatives», car moins préoccupées de pathologie et de normalisation : l’éviction, par exemple, de la «barbare» pince de Pozzi, l’auscultation sur le flanc, la gestion de la douleur lors d’un accouchement… Rien d’étonnant de découvrir qu’un guide illustré sur la santé intime – disponible gratuitement sur le site des éditions du Lombard – accompagne l’ouvrage, pédagogique et poignant jusqu’au bout.
Grégory Cimatti
Le Chœur des femmes,
d’Aude Mermilliod.
Le Lombard.
L’histoire
Jean, major de promotion et interne à l’hôpital, doit faire un stage en soins gynécologiques aux côtés du Dr Karma. Mais elle veut faire de la chirurgie et non écouter des femmes parler d’elles-mêmes et de leur corps! Elle se désespère de passer son temps auprès de ce médecin qui privilégie l’écoute à la technique. Contraception, maternité, violences conjugales, avortements… De consultations en témoignages, Jean pourrait bien pourtant changer sa vision de la médecine.