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[Made in Lux] Un créateur à Hesperange


Né à Liège d'une mère israélienne et d'un père belge, Ezri a vécu en Belgique, en France et en Suisse à Zurich. (Photos: François Aussems)

Le Quotidien met un coup de projecteur sur la mode «made in Luxembourg». Le couturier Ezri Kahn nous a ouvert les portes de son atelier. Portrait de celui qui se définit comme «un artisan tailleur pour femmes».

Installé à Hesperange depuis deux ans, Ezri Kahn crée des vêtements de luxe pour des clientes à la recherche de l’excellence.

Une pièce aux murs gris, un chemisier jaune suspendu à un crochet et une table en bois sur laquelle on trouve une règle. Bienvenu dans l’atelier d’Ezri Kahn, «artisan tailleur pour femmes». Dans cette pièce de son appartement, Ezri dessine et conçoit des créations taillées sur mesure pour ses clientes.

Elles peuvent être «des femmes d’affaires qui cherchent le confort», dit-il. «Quand on est CEO, il faut se démarquer par sa garde-robe», explique-t-il avec douceur.

En effet, il émane d’Ezri une douceur, une sensibilité et de la discrétion. Né à Liège il y a 46 ans et arrivé au Luxembourg en 2013, Ezri raconte qu’il a commencé à suivre des cours de danse avec sa sœur à l’âge de 6 ans.

Un danseur et un costumier

Les années passent et, à 18 ans, il devient danseur professionnel. Dans le même temps, il suit ses études. Il voulait les lier au milieu artistique dans lequel il se trouvait. «J’ai fait l’école Gianfranco Ferré et l’Académie d’Anvers», dit-il.

De ces années d’apprentissage, il garde le souvenir de la discipline. «Il faut beaucoup travailler, c’est assez lourd. La première année, c’est sur le costume et l’histoire. C’est plus quelque chose de pesant que de créatif», appuie-t-il. Néanmoins, «c’est nécessaire pour l’évolution de l’esprit, car il faut connaître le passé pour connaître le futur».

En même temps qu’il apprend la mode, Ezri danse dans la compagnie Csilla, dont il crée les costumes.

Il brûle les planches à Liège, à Bruxelles et aux États-Unis. Et lorsqu’il fait son service militaire à Hans, près de Liège, il fabrique… des uniformes militaires. «J’avais une dérogation pour aller aux répétitions», se souvient-il.

Le buste, l'un des accessoires utilisés pendant la création du vêtement.

Le buste, l’un des accessoires utilisés pendant la création du vêtement.

Après l’école, Ezri suit une formation dans l’atelier d’Azzedine Alaïa, à Paris, pendant quatre ans. Le grand couturier est une personne exigeante. «Il fait encore du sur mesure de A à Z. De la mise au point au prototype, ça peut prendre un, deux, trois ans. C’est quelqu’un qui veut prendre le temps pour travailler correctement.»

Quand on l’interroge sur sa matière préférée, Ezri répond : la laine anglaise. «La qualité est différente. Elle est faite de façon artisanale par rapport à d’autres. En Angleterre, ils ont le respect de la tradition artisanale», remarque-t-il.

Et s’il y a une pièce vestimentaire qu’Ezri préfère travailler, c’est le manteau. «Parce que c’est ce qu’on met par-dessus tout. En hiver, c’est quelque chose de protecteur et c’est enveloppant.»Pour la jupe, le créateur aime bien «travailler le mouvement».

Pour créer un vêtement de A à Z, il faut passer par plusieurs étapes. D’abord, Ezri, dans son atelier à Hesperange, demande à sa cliente si elle portera le vêtement dans sa vie de tous les jours ou s’il est destiné à un événement. Surtout, il prend le temps d’écouter, car il veut faire ressortir «un maximum la personnalité» de celle qui portera la pièce. «Le luxe demande un service que l’on n’a pas avec le prêt-à-porter». La confiance entre le couturier et la cliente doit s’installer.

Une fois la première phase passée, Ezri conçoit des pièces uniques, puis le patronage. «Je travaille parfois sur le buste pour voir comment le tissu tombe.» Vient ensuite l’essayage sur la cliente. C’est à ce moment-là qu’il voit les modifications à apporter au vêtement. Il fait aussi sa mise à plat. «Il faut décatir le tissu, c’est-à-dire enlever l’apprêt industriel et le préparer à le détendre pour le préparer», détaille-t-il. Ezri construit son patronage avec du fil afin de préparer au mieux la taille. L’artisan tailleur ne travaille pas avec un ordinateur. «Je suis manuel, articule-t-il, c’est une passion, je fais tout de A à Z, c’est moi qui fais la technique.»

Selon Ezri, «le vêtement a un langage» et «il ne vit que s’il est porté». «Chaque âge a sa façon de s’habiller, prévient-il : Les gens se vieillissent en voulant rester jeunes.» De toute façon, «la mode change tous les trois mois, il vaut mieux avoir son propre style.»

Chères étoffes

Le travail avec la cliente dure dans le temps (quatre à cinq ans). «Une garde-robe ne se construit pas en une journée», dit-il en souriant. Ezri peut passer six mois sur différentes pièces pour une cliente. Certaines, même, achètent pour l’année.

Ezri crée ses vêtements dans son atelier situé dans son appartement.

Ezri crée ses vêtements dans son atelier situé dans son appartement.

Le prix du vêtement dépend du tissu avec lequel il a été fabriqué. «Cela va de 60 à 70 euros hors taxes à 2 000-3 000 euros hors taxes». Quant à la broderie, les prix peuvent grimper de «10 000 à 15 000 euros le mètre».

Le 16 juin, Ezri a exposé ses créations au club privé «House 17», rue du Nord, à Luxembourg. «C’est une façon de faire venir les gens qui me suivaient sur Facebook. J’ai axé mon exposition sur des pièces non finies.» Car les gens ne voient pas toujours le travail fait en amont par le couturier.

Ce soir-là, au House 17, «il y avait des membres du club et des gens que j’avais invités. C’était une soirée où les gens étaient plus curieux et plus à l’aise.»

Ezri aimerait organiser un événement au Luxembourg durant lequel il exposerait des extraits de collections. «Les vêtements seront le lien principal. Je veux partager l’univers artistique dans lequel j’ai grandi avec des personnes du Grand-Duché. Je veux faire profiter les autres de mon expérience.»

Au Luxembourg, Ezri est l’un des rares à vivre de son art. «Il y a des stylistes qui travaillent à côté parce qu’ils ne peuvent pas vivre de leur passion. Je trouve ça dommage de ne pas développer ce que l’on aime.»

Il déplore l’absence d’une école de la mode au Luxembourg. Mais surtout, il souligne que «c’est très difficile d’avoir de l’aide, car nous ne sommes pas considérés comme un pôle attractif de business».

Aude Forestier