La crise a révélé si besoin était la dépendance du Luxembourg à l’extérieur. Dans son almanach 2021, Caritas se pose la question de «la manière dont nous traitons les frontaliers».
«Le Luxembourg n’est pas une île.» Ces propos qui ont été dits et redits par différents responsables politiques témoignent d’une réalité que la crise sanitaire est venue rappeler à tous ceux qui ont semblé en douter : sans ces dizaines de milliers de travailleurs qui traversent quotidiennement ses frontières, l’économie du pays serait au point mort, ou presque.
C’est d’ailleurs face à un tel risque que le Premier ministre Xavier Bettel s’est fermement opposé à la fermeture des frontières et que des accords fiscaux ont été adoptés pour permettre le télétravail qui était jusque-là peu envisagé (voire même inenvisageable) par nombre de patrons du Grand-Duché.
Avec son almanach social 2021, Caritas nous invite à considérer le bilan de développement social du pays pour penser le monde que nous voulons mettre en place après la crise sanitaire, notamment «la manière dont nous traitons les frontaliers», comme le souligne Robert Urbé, rédacteur et coordinateur du Sozialalmanach.
Pour une interdépendance au lieu d’une dépendance endémique
L’une des contributions de cette année, celle de Jean-Jacques Rommes, président du Conseil économique et social (CES), porte ainsi sur les relations du Grand-Duché avec ses voisins de la Grande Région.
L’auteur constate en effet que le modèle luxembourgeois est assez mal compris, tant par les pays voisins que la population luxembourgeoise elle-même, et se demande pourquoi la pandémie seulement a montré la dépendance du Luxembourg vis-à-vis de ses voisins. «Que faire pour que cette dépendance endémique devienne une interdépendance, voire une unité d’intérêt gérée en commun?» pose-t-il.
«Si ce pays était isolé, on le verrait asséché et fané en quelques jours», peut-on ainsi lire dans l’article de Jean-Jacques Rommes. «Cette dépendance à l’égard de l’extérieur est brutalement entrée dans les consciences lors du confinement et des fermetures de frontières au printemps 2020. Alors que d’autres pays européens s’étonnaient du risque d’être coupés de l’approvisionnement en provenance de l’Asie, le Luxembourg a constaté à quel point l’apport en main-d’œuvre de la Grande Région est vital pour lui.»
Une Grande Région en manque de cohésion
Plus de 43 % des travailleurs du pays ne sont pas des résidents. On les retrouve essentiellement dans les secteurs de l’industrie, de la construction, dans le secteur automobile ou les services administratifs (privés).
Cet apport «vital» contribue largement au renflouement des caisses de l’État et participe de fait aux redistributions sociales, aux investissements mais aussi à «l’arrosage» de ses électeurs, dont la majorité sont les fonctionnaires et les retraités.
De plus, les travailleurs étrangers (frontaliers ou non) sont en moyenne jeunes et bien portants, rappelle l’auteur : ils cotisent donc généralement pour la CNS sans retour simultané. «Pour le moment, les caisses semblent regorger d’argent, mais le jour où cesse l’apport en masse de jeunes travailleurs sains et bien payés, le système court à la catastrophe.»
Or les projections démographiques prévoient une décroissance dans la Grande Région (en raison du vieillissement de la population). Pour Jean-Jacques Rommes, le modèle luxembourgeois est donc tout simplement menacé par cette «course à la croissance sans productivité» ainsi que par le manque de cohésion sociale et territoriale au niveau de la Grande Région.
Le pays doit pourtant, en tant que carrefour et seul État souverain au milieu de régions et Länder, garantir une cohésion qui passe par une gestion plus globale du territoire. «Une coopération politique forte dans toute la Grande Région doit l’emporter sur des considérations purement financières», conclut-il.
Tatiana Salvan